Un roman français, de Frédéric Beigbeder

Souvent je reconstruis mon enfance par politesse. « Mais si, Frédéric, tu te souviens ? » Gentiment, je hoche la tête : « Ah oui, bien sûr, j’ai collectionné les vignettes Panini, j’étais fan des Rubettes, ça me revient, maintenant. » Je suis navré de l’avouer ici : rien ne revient jamais ; je suis mon propre imposteur. J’ignore complètement où j’étais entre 1965 et 1980 ; c’est peut-être la raison pour laquelle je suis égaré aujourd’hui. J’espère qu’il y a un secret, un sortilège caché, une formule magique à découvrir pour sortir de ce labyrinthe intime. Si mon enfance n’est pas un cauchemar, pourquoi mon cerveau maintient-il ma mémoire en sommeil ?

Ce roman est considéré par beaucoup comme le meilleur de l’auteur, à qui il a d’ailleurs valu de recevoir le prix Renaudot. Aimant plutôt ce qu’écrit Frédéric Beigbeder, je ne pouvais que le lire un jour ou l’autre, et comme il faisait partie de mon butin chez le meilleur bouquiniste du monde, et bien l’occasion a fait le larron !

En garde-à-vue pour avoir sniffé de la coke sur le capot d’une voiture devant une boîte de nuit, Beigbeder s’ennuie et commence à écrire dans sa tête le roman de son enfance, qu’il a oubliée mais qui lui revient petit à petit, à mesure qu’il tire les fils de la mémoire.

Si le point de départ est assez consternant, il s’agit bien là d’un roman absolument magnifique, qui ne cesse d’aller et de venir entre le présent de l’enfermement (vaste thème d’étude, la littérature de la prison) et le passé qui se reconstitue peu à peu.

Ici, écrire, comme une psychanalyse, permet de retrouver les souvenirs occultés, plonger en soi, virer les araignées planquées sous les meubles : c’est dur, et il le dit, « Toute ma vie, j’ai évité d’écrire ce livre« . Mais parfois, ce qu’on ne voulait pas faire devient vital, nécessaire pour savoir qui on est et d’où on vient.

Issu d’un côté de la bourgeoisie excentrique et de l’autre de l’aristocratie fauchée, il compare ses parents à Wilde et Sinclair, mais qui se seraient séparés, le conduisant à vivre une enfance qui n’a finalement été qu’une illusion de bonheur et à se construire en opposition avec son frère Charles, figure écrasante de perfection, à qui il fait une très touchante déclaration.

Chaque être est un mystère insondable, mais il y a dans ce roman quelques clés pour comprendre ce personnage un peu désinvolte, hédoniste autodestructeur, qui ôte momentanément le masque qu’il a mis pour se protéger du monde. Et il n’est jamais aussi attendrissant que lorsqu’il parle de sa fille.

A lire absolument !

Un roman français (lien affilié)
Frédéric BEIGBEDER
Grasset, 2009 (Livre de poche, 2010)

32 réponses à « Un roman français, de Frédéric Beigbeder »

  1. Avatar de clara

    le personnage m’agace et je fais un blocage pour le lire.

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Pourtant, c’est vraiment un excellent auteur, et dans ce livre il est vraiment touchant !

      J’aime

    2. Avatar de La Fille aux yeux couleur menthe à l'eau

      J’en étais là aussi il y a 2 ans quand ce livre m’est tombé dans les mains un peu par hasard. J’ai changé radicalement d’avis à la suite de cette lecture qui m’a fascinée. Il aide à comprendre le personnage public et à apprécier ses autres écrits.

      J’aime

      1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

        Oui, je crois que c’est son « oeuvre-clé » qui permet d’éclairer les autres !

        J’aime

  2. Avatar de laboucheaoreille

    J’avais bien aimé « Mémoires d’un jeune homme dérangé » et, dans une moindre mesure, « l’amour dure trois ans ». Ses livres ne sont pas aussi superficiels que ne le laissent croire les apparences …

    J’aime

  3. Avatar de Mokamilla

    Capable du meilleur comme du pire, le monsieur a une plume qui sait pourtant me plaire. Cela fait un bail que je ne le lis plus.

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Moi je l’aime vraiment de plus en plus !

      Aimé par 1 personne

  4. Avatar de La plume et la page

    Pas tentée par Beigbeder mais je suis certaine que ses livres font réfléchir et cassent les codes. Un jour, peut-être, j’en lirai un…

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      C’est beaucoup plus profond que ne le laisse supposer son image !

      J’aime

  5. Avatar de Quaidesproses

    Beigbeder fait vraiment partie des auteurs que « j’aime le plus », mais je confirme, celui-ci est de loin mon favoris – en tout cas, c’est celui que je conseille le plus -ou bien le dernier Oona & Salinger.

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Le dernier est très différent, cela dit !

      J’aime

      1. Avatar de Quaidesproses

        Exactement, mais il sort (un peu) du « Moi-je » que certain n’aime pas chez Beigbeder.

        J’aime

        1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

          Alors que justement, c’est ce que j’aime (même si j’ai aussi beaucoup aimé le dernier)

          J’aime

          1. Avatar de Quaidesproses

            Je suis comme toi, pour le coup. 🙂

            Aimé par 1 personne

  6. Avatar de Dorothée

    Tout à fait d’accord avec toi, je me souviens avoir adoré cette autobiographie (alors que j’aime un peu moins ses romans), cela éclaire si bien le « personnage ».

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      J’aime aussi énormément ses autres romans !

      Aimé par 1 personne

  7. Avatar de Laure Micmelo
    Laure Micmelo

    Je suis entièrement d’accord avec toi, à lire absolument !

    J’aime

  8. Avatar de Marion

    Voilà bien longtemps que je n’ai pas lu le Monsieur, il faudrait que je m’y remette un jour !

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Pour moi, c’est un très grand écrivain !

      J’aime

  9. Avatar de cartonsdemma
    cartonsdemma

    Comme beaucoup l’auteur ne m’attire pas. Cependant le fait d’avoir occulté ses souvenirs d’enfance me parle, j’ai souvent l’impression moi même d’avoir effacer plusieurs années. Je le lirais probablement pour ça

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Il ne faut pas s’arrêter à l’image de l’auteur, qui est surtout un rôle !

      J’aime

  10. Avatar de Jackie Brown

    Je n’avais jamais entendu parler de Beigbeder quand j’ai lu ce livre. C’est le titre qui m’a attirée. J’ai trouvé la partie souvenirs superbe, celle sur la prison beaucoup moins. Je n’ai encore rien lu d’autre, mais celui-ci m’avait beaucoup touchée.

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Ce qu’il écrit est particulier, mais pour moi c’est un grand écrivain !

      J’aime

  11. Avatar de noukette

    Et pourquoi pas moi je dis ? Je l’ai lu cet auteur à une époque, et j’aimais bien…

    J’aime

    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Dans ce cas, en effet, pourquoi pas !

      J’aime

  12. Avatar de Eva, de Simon Liberati | Cultur'elle

    […] Dans Un roman français, Frédéric Beigbeder ne nomme pas Liberati, il parle de lui en l’appelant « le Poète ». C’est peu de dire que ce surnom est parfaitement mérité : poète, il l’est, assurément. Il y a chez lui quelque chose d’éminemment baudelairien, un peu artiste maudit habité par la mélancolie, beaucoup amoureux absolu. L’amour est ici un abandon, une conversion qui nous pousse hors de nous-même, et nous sauve. Liberati transmute le glauque en or, grâce à une écriture ciselée, métaphorique, et un véritable travail littéraire qui transfigure la figure féminine, la fait muse, fée, héroïne tragique, victime sacrificielle. Si certaines confidences livrées sans fausses pudeur peuvent parfois mettre mal à l’aise, et si le roman peut écœurer à l’occasion un lecteur plongé au sein d’une société et d’une époque où la pédopornographie, élevée au rang d’art, ne semble poser de problèmes à personne, ce qui demeure une fois le livre refermé, c’est l’amour, la lumière, le sublime. […]

    J’aime

  13. Avatar de Beigbeder l’Incorrigible, d’Arnaud le Guern | Cultur'elle

    […] passe rapidement sur l’enfance, renvoyant le lecteur à Un Roman Français, c’est pour mieux se consacrer à l’adulte et à son parcours, amoureux comme […]

    J’aime

  14. Avatar de Les rameaux noirs (Mnémosyne) de Simon Liberati | Cultur'elle

    […] rentrée littéraire : le personnage de Liberati, baptisé « le poète » dans Un Roman Français de Beigbeder, m’intrigue et me fascine de plus en plus, donc comment résister à un livre […]

    J’aime

  15. Avatar de Eva, de Simon Liberati – Caroline Doudet

    […] Dans Un roman français, Frédéric Beigbeder ne nomme pas Liberati, il parle de lui en l’appelant « le Poète ». C’est peu de dire que ce surnom est parfaitement mérité : poète, il l’est, assurément. Il y a chez lui quelque chose d’éminemment baudelairien, un peu artiste maudit habité par la mélancolie, beaucoup amoureux absolu. […]

    J’aime

  16. Avatar de Beigbeder l’Incorrigible, d’Arnaud le Guern – Caroline Doudet

    […] passe rapidement sur l’enfance, renvoyant le lecteur à Un Roman Français, c’est pour mieux se consacrer à l’adulte et à son parcours, amoureux comme […]

    J’aime

Répondre à Jackie Brown Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Je suis Caroline !

Portrait plan américain d'une femme châtain ; ses bras sont appuyés sur une table et sa maingauche est près de son visage ; une bibliothèque dans le fond

Bienvenue sur mon site d’autrice et de blogueuse lifestyle, sur lequel je partage au quotidien ma manière poétique d’habiter le monde !