Dans l’arène du Palais de Justice de Paris, Pauline Dubuisson a combattu toute seule, en éclaireuse, face à une génération entière, celle d’avant-guerre, face même à des centaines d’années de vertu hypocrite (de mes fesses) et de domination masculine, face à une société qui ne voulait pas d’elle, qui ne voulait pas des filles comme elle — que le ciel l’en préserve. Elle n’était que ça, une fille, autant dire pour eux presque rien, mais elle les a regardés droit dans les yeux, les vieux maîtres, vaillamment, irrévérencieuse, elle n’a jamais baissé la tête, ne s’est jamais tordu les doigts en sanglotant de honte, comme doit le faire une femme, elle n’a pas poussé de cris hystériques ni ne les a suppliés de lui pardonner, et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l’ont vaincue, évidemment, ils l’ont détruite.
On ne peut pas dire que ma première rencontre avec Philippe Jaenada ait été un franc succès : j’avais détesté La Femme et l’ours, et j’en était restée là, convaincue que cet auteur n’était pas pour moi, malgré la séduction qu’avait tout de même exercée sur moi son écriture désinvolte et ne manquant pas d’humour.
Mais depuis son dernier roman, Sulak, Jaenada a pris un nouveau tournant, le conduisant à parler de quelqu’un d’autre et non plus de lui. Je l’avais écouté avec beaucoup d’intérêt lors de l’avant-dernier salon du livre, et sa présentation de son roman lors de la réunion de rentrée littéraire de Julliard/Laffont m’a intriguée.
Ce roman naît d’une obsession pour Pauline Dubuisson, et de la volonté à la fois de la comprendre et de savoir qui elle était vraiment, loin des a priori et peut-être des mensonges, fussent-ils romanesques, qui ont été écrit sur elle.
Ce pourrait être une enquête ou une biographie, mais Jaenada, tout en restant dans les limites de ce qu’on sait et sans rien inventer, fait pourtant bien œuvre de romancier en donnant à Pauline Dubuisson un destin sur-mesure. Celui d’une femme en avance sur son temps, jugée non pour ce qu’elle avait fait, mais pour ce qu’elle était : une femme libre et indépendante, qui refuse les normes et la morale bourgeoise et religieuse de son époque — un peu comme Meursault, finalement, condamné non parce qu’il a tué, mais parce qu’il n’a pas pleuré à l’enterrement de sa mère.
Pauline Dubuisson, donc, est en 1953 condamnée aux travaux forcés à perpétuité pour le meurtre de son ex petit-ami, Félix Bailly. Si elle échappe à la guillotine, ce n’est bien que parce que depuis la Libération on n’exécute plus les femmes en France, et qu’on lui accorde les circonstances atténuantes pour ne pas avoir à prononcer la sentence fatale.
Pourtant, tout a été fait au cours d’un procès qui tient plus à une mascarade qu’à un acte de justice, pour faire d’elle un monstre, et transformer ce qui était sans doute un crime passionnel en meurtre avec préméditation perpétué par une calculatrice froide et machiavélique.
La thèse choisie par Jaenada, et le fil rouge du roman, c’est la théorie du bouc-émissaire.
Pauline Dubuisson, parce qu’elle a couché avec des Allemands pendant l’Occupation, incarne le Mal dont il faut purger la société. Parce qu’elle n’est pas une femme soumise et asexuée, parce qu’elle veut faire des études et avoir une carrière au lieu d’être gentiment mère au foyer, parce qu’elle a des désirs et qu’elle les assume, parce qu’elle est trop belle et qu’elle fait trembler le pouvoir masculin, il faut la détruire.
Alors on la charge de tous les maux : grâce à une enquête sérieuse, le romancier montre bien comment certains faits sont grossis, se transforment et deviennent mensonges, comment la presse façonne l’opinion publique, comment le procès s’est fait uniquement à charge. Comment Pauline Dubuisson est devenue, finalement, une victime de la société.
Et l’auteur ne pardonne pas : profondément féministe, le roman s’attaque à ceux qui n’ont pas été honnêtes et ont sacrifié une femme qui avait sans doute commis des erreurs, mais qui ne méritait sans doute pas un tel acharnement.
Pauline Dubuisson pourrait être une héroïne tragique, et elle l’est par certains côtés, la fin est particulièrement émouvante sinon cathartique. Jaenada s’intéresse à l’après, à la prison, et on pourrait espérer que Pauline ait droit à sa rédemption. Ce ne sera pas le cas.
Mais Jaenada désamorce constamment le processus du pathos en n’effaçant jamais le « je » de l’enquêteur qui commente, fait des comparaisons loufoques, met en scène l’écriture même du roman et n’hésite pas à raconter quelques anecdotes un peu hors de propos mais tout de même très drôles.
Un roman excellent, qui se lit rapidement malgré son nombre conséquent de pages grâce à une véritable énergie narrative ! A lire absolument, il m’a réconciliée avec Philippe Jaenada !
La Petite Femelle
Philippe JAENADA
Julliard, 2015









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