Laissez-moi généraliser, comme vous dits, malgré l’unique épreuve dont je me sens encore fourbue. Je ne suis plus assez jeune, ni assez enthousiaste, ni assez généreuse pour recommencer le mariage, — la vie à deux, si vous voulez. Laissez-moi attendre, parée, oisive, seule dans ma chambre close, la venue de celui qui m’a choisie pour harem. Je voudrais ne savoir de lui que sa tendresse et son ardeur, je ne voudrais de l’amour, enfin, que l’amour…
Un texte que j’ai acheté en mai à la Maison de Colette, pour remplacer l’exemplaire que je suis pourtant certaine de posséder mais sur lequel je ne parviens pas à remettre la main. Je ne suis d’ailleurs plus si certaine que ça de l’avoir déjà lu, mais après tout, qu’importe. D’abord paru en feuilleton en 1910, le roman a été écrit sur la fin du mariage de Colette avec Willy, et peut apparaître comme une sorte de vengeance.
Après avoir quitté son mari à cause de ses innombrables infidélités, Renée Néré, à 33 ans, gagne désormais sa vie au music-hall. C’est là qu’elle rencontre Maxime, un riche héritier de son âge, qui tombe amoureux d’elle et veut l’épouser. Elle-même, après l’avoir repoussé et surnommé moqueusement « le grand serin », finit par sentir à nouveau battre son cœur et l’appelle son « amoureux ». Mais est-elle prête à nouveau pour le couple et le mariage ?
Il s’agit évidemment d’un roman autobiographique, sinon sur le plan des événements, au moins sur celui des émotions et des sentiments, que Colette analyse une nouvelle fois finement : la perte du désir et l’envie d’avoir la paix après une rupture douloureuse, le déclassement social qui la fait passer de bourgeoise à bohême, la solitude qui est à la fois une liberté et un poids, et cette volonté farouche de s’occuper de soi et de se suffire : c’est « pour elle », comme elle l’affirme, que Renée veut s’occuper de son intérieur et le rendre confortable.
Et le surgissement inopiné (parce qu’il ne prévient jamais) de la surprise de l’amour, les soubresauts du désir et la lutte contre soi pour ne pas replonger. Si Renée veut bien l’amour, elle refuse absolument le couple et le mariage, dont elle a une vision très négative et qu’elle considère comme une servitude. En fait, c’est la peur qui l’anime, le manque de confiance en soi (elle sait qu’elle vieillit, et qu’elle ne sera pas toujours aussi belle) et en l’autre, la jalousie, une certaine paresse aussi : l’amour, c’est épuisant, avec toutes ces montagnes russes d’émotions, et Renée n’en a pas très envie, finalement, même si elle aime un temps l’idée d’avoir un amoureux et lui écrit de magnifiques lettres.
Tout cela n’est pas sans nous rappeler La Princesse de Clèves, et la fin est la même. La quatrième de couverture parle de « victoire sur soi ». Je ne suis pas d’accord : il n’y a aucune grandeur ni courage à renoncer à l’amour, au contraire. Ce n’est pas une victoire, c’est une défaite, qui, je l’avoue, m’a un peu chiffonnée, même si je comprends pourquoi Colette l’a écrit comme ça, à l’époque (avant elle-même de replonger dans les tourments de l’amour, parce que c’était une grande amoureuse, et que certes la solitude où l’on se retrouve avec soi-même c’est bien, mais ce n’est pas ce qui nous fait nous sentir vivant).
Cela reste évidemment un essentiel dans la bibliographie de Colette, que j’aime beaucoup sur le terrain de l’analyse des sentiments, à laquelle s’ajoute ici une peinture vive du monde du théâtre. Je ne saurais trop le conseiller si vous ne l’avez pas lu !
La Vagabonde
Colette
Albin Michel (Le Livre de poche)









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