Sarah, Susanne et l’écrivain, d’Eric Reinhardt

Sarah lui demanda comment il imaginait Susanne Stadler, puisque c’était le nom qu’il lui avait choisi. Qui est cette femme, finalement ? lui demanda-t-elle.
Il lui répondit qu’elle avait le même âge qu’elle, quarante-quatre ans au moment des faits, il n’avait pas modifié la date de naissance. Elle était brune et grande elle aussi, mariée et mère de deux enfants, Luigi et Paloma, de dix-sept et vingt et un ans. Les vrais prénoms, comme elle le lui avait demandé, n’avaient pas été conservés. Il avait également changé la ville. Susanne Stadler habitait Dijon.

On dirait bien que j’ai une rentrée littéraire de retard, puisque ce roman est sorti l’an dernier, et que c’est d’ailleurs à peu près le seul qui m’avait tentée, d’abord parce que j’aime beaucoup ce qu’écrit Eric Reinhardt, et ensuite parce qu’il est question d’écriture et d’écrivain. Mais voilà : je l’avais commencé, j’avais lu les trois ou quatre premiers chapitres, il me plaisait assez, et je ne sais pas du tout pourquoi je l’avais finalement mis de côté. Toute une année il est donc resté sur la tablette de ma table basse, là où je mets mes lectures en cours, à me lancer des regards pleins de reproches, mais sans que je m’y remette, jusqu’à l’autre jour où je l’ai enfin repris (depuis le début parce qu’évidemment, j’avais perdu le fil).

Il s’agit d’un roman sur l’écriture d’un roman, et sur la manière dont, d’une personne réelle, le romancier fait un être de papier, comment il transpose la réalité en fiction.

Sarah, après s’être confiée à un écrivain, écoute ce dernier lui raconter le roman qu’il a écrit à partir de son histoire, dont le personnage principal est Susanne (mais pas Stadler, qui sonnait trop durassien pour Sarah).

C’est évidemment vertigineux, et le roman nous prend la main pour nous montrer ce qu’on ne voit pas d’habitude, sauf si on est soi-même écrivain et qu’on connaît le processus : toutes les phases de l’écriture, la petite cuisine, comment l’écrivain fait feu de tout bois des détails de la vie et les transforme, les travestis, façonne : car il ne s’agit pas d’écrire la biographie de Sarah, il s’agit bien d’un roman, d’un roman du roman où les choix opérés par l’écrivain dans le réel, ce que Susanne a de Sarah et ce qu’elle n’a pas, ce que Susanne aussi a de l’écrivain, sont au centre du processus. Et là, j’ai vraiment admiré le travail de tissage d’Eric Reinhardt, et le dédoublement réflexif dont il s’est sorti avec brio, puisque Sarah est elle-même, évidemment, un personnage de fiction, et peut-être y a-t-il une troisième femme, la vraie cette fois, on ne sait pas.

Tout le roman du reste est tendu par une réflexion sur l’art, sur la création artistique, et la beauté qui sauve : après un cancer, Sarah comme Susanne abandonnent leur métier pour devenir l’une plasticienne, l’autre… écrivaine. Mais dans la vie de la deuxième, et c’est là qu’il s’écarte du réel, l’écrivain ajoute un tableau, que l’on ne verra jamais mais qui porte tout le sens symbolique de l’histoire de Susanne, et d’une porte métaphysique que l’on n’a pas ouverte et qui nous hante, et que la fiction permet justement d’ouvrir. Parce que le propre du personnage de fiction est d’avoir un destin, une vie cohérente. Le roman donne à la vie la cohérence qu’elle n’a pas, et c’est ce travail que nous montre ici Eric Reinhardt.

J’ai donc beaucoup apprécié ce roman pour son choix narratif, et pour sa réflexion inspirante sur la création. En revanche, mais ce n’est même pas une réserve car c’est très personnel, je n’ai pas été plus intéressée que ça par l’histoire de Sarah et Susanne, autour d’un choix qui entraîne une catastrophe et que je n’ai à vrai dire pas compris. Pour tout dire, je n’ai pas trouvé Sarah/Susanne très sympathiques, et à part leur dévouement à la création, elles ne m’ont pas tellement fait ressentir d’émotions, sinon parfois une pointe d’agacement, alors que je sais bien que ce n’était pas le but.

Mais cela reste une excellente lecture, qui m’a beaucoup apporté notamment dans mes réflexions sur l’écriture, et je ne comprends toujours pas pourquoi je l’ai délaissé pendant un an. Mais peut-être était-il arrivé un peu tôt, et que je n’étais pas prête !

Sarah, Susanne et l’écrivain (lien affilié)
Eric REINHARDT
Gallimard, 2023 (il sortira en poche en janvier)

Une réponse à « Sarah, Susanne et l’écrivain, d’Eric Reinhardt »

  1. Avatar de Miss Zen

    Voila qui semble hautement intéressant ! Je le note.

    Aimé par 1 personne

Un petit mot ?

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Je suis Caroline !

Portrait plan américain d'une femme châtain ; ses bras sont appuyés sur une table et sa maingauche est près de son visage ; une bibliothèque dans le fond

Bienvenue sur mon site d’autrice et de blogueuse lifestyle, sur lequel je partage au quotidien ma manière poétique d’habiter le monde !