L’une de mes plus grandes joies dans la vie, c’est d’assouvir ma curiosité et d’apprendre de nouvelles choses. C’est mon mode de fonctionnement par défaut : lire, prendre des notes, que tout cela se mélange et par fertilisation croisée, que cela donne de nouvelles idées. Et comme je suis une obsessionnelle de l’organisation, je cherche toujours de nouvelles méthodes pour que mon processus soit encore plus efficace — ce qui, souvent, consiste en fait à conscientiser un processus intuitif. Qui, je trouve, ressemble beaucoup à de la cuisine.
C’est comme cela que l’autre jour, en écoutant l’épisode des conversations du scarabée sur la relation au temps et à l’hyperactivité, je suis tombée sur la méthode Zettelkasten mentionnée par Alexandre Dana, et l’idée d’avoir plusieurs projets sur lesquels on travaille « à feu doux », et en parallèle un autre sur lequel on est « à feu vif ». C’était aussi d’ailleurs le sujet de la deuxième ressource du dimanche de Géraldine Dormoy : prendre des notes sur tous les sujets possibles pour retenir l’important et voir ce que ça donne.
La prise de notes : les ingrédients
En général, voici comment on fonctionne : on a un sujet, on est focalisé dessus, et on fait des recherches en conséquence : les notes sont compartimentées, et prises dans un but précis et unique. Ce qui implique d’ailleurs de savoir ce qu’on cherche. Avec la méthode zettelkasten, il s’agit de prendre des notes sur tout, de manière à pouvoir les connecter, et de faire émerger de nouvelles idées. La méthode a été inventée dans les années 60 par le sociologue allemand Niklas Luhmann, et le mot signifie « boîte de notes » parce qu’effectivement, il mettait physiquement ses notes dans des boîtes.
Lorsque j’ai lu des articles à ce sujet, j’ai souri parce que c’était exactement ce que j’avais fait pour ma thèse : après avoir commencé par une prise de note classique, avec un fichier par ressource que je lisais, je m’étais mise intuitivement à procéder autrement, et à adopter cette méthode zettelkasten dont je n’avais pourtant jamais entendu parler. J’avais découpé des fiches (des feuilles A4 coupées en 6) et à chaque fois que je tombais sur une idée que je trouvais intéressante, une citation, ou si cela faisait naître quelque chose, je le notais sur une fiche. Il y avait tout un système de couleurs grâce auquel je faisais des renvois entre fiches. Ensuite, ces fiches étaient placées dans des classeurs par grandes idées, mais à l’occasion, il m’est arrivé de sortir toutes les fiches, de les étaler dans mon salon, et de les organiser autrement parce que de nouveaux liens s’étaient faits. C’est comme ça que j’ai construit mon plan.
Alors évidemment, je ne procède plus comme cela aujourd’hui, même si je reste sur un fonctionnement papier, alors que des outils numériques permettent de le faire facilement (Notion, Trello, Obsidian que je n’ai pas testé : nous reviendrons dans un prochain article sur cette question) mais, que voulez-vous, moi j’ai besoin du papier. De pouvoir feuilleter pour trouver de nouvelles idées). En outre, j’ai une très bonne mémoire, une pensée en arborescence, et mon cerveau se charge lui-même de faire les liens.
Mon processus de prise de notes est finalement assez simple :
- Lorsque je lis, je souligne les passages importants ; lorsque je commence un livre, je colle au début des post-it, qui me servent à noter les idées essentielles, les liens avec d’autres choses déjà lues. Si cela fait naître une nouvelle idée, je le note dans un carnet. Pour les autres types de contenu comme les vidéos ou des podcasts, ou la vie quotidienne, je note aussi dans un carnet, ou bien je me fais une note vocale (en fait je m’envoie un message sur WhatsApp : on m’a donné ce truc récemment, et ça a changé ma vie) si je ne peux pas écrire.
- Ensuite, je classe les notes dans les carnets. J’en ai une multitude, chacun dédié à un truc : mes projets d’écriture en cours (le projet Adèle, le projet Déesses et un autre top secret), mes newsletters, les idées de contenu. Si la note va dans une thématique déjà créée, je la mets là, sinon je crée une nouvelle thématique. Et c’est là que mon processus diverge de la méthode zettelketen, parce que normalement il faudrait laisser beaucoup plus de latitude. Mais dans les faits je préfère que ce soit comme cela : je fais confiance à mon cerveau, la note il s’en souvient, et ce n’est pas parce qu’elle est classée dans telle thématique que je ne vais pas m’en servir pour autre chose puisque comme je l’ai dit plus haut, les liens se font d’eux-mêmes et mènent souvent à autre chose, mais au moins je sais où est la note d’origine.
Toutes ces notes, c’est ce qui va constituer les ingrédients de la recette de cuisine, les ingrédients de base comme les épices et condiments.
La recherche de nouveaux ingrédients et la sérendipité
Vous allez me dire : oui, mais comment on les trouve, ces ingrédients ?
Evidemment, j’ai des sujets de recherches plutôt définis, en fonction de mes projets, avec une bibliographie. Mais dans les faits, tout m’intéresse, donc je consomme aussi beaucoup de contenus sur des sujets qui ne me sont a priori pas familiers. Et je fais confiance à mon intuition.
L’idée, c’est que mon cerveau fonctionne par défaut comme une tête chercheuse : il sait sur quoi je souhaite travailler, et il est donc à la fois ouvert et concentré. Je m’explique parce que je pense que ce fonctionnement est très particulier. Souvent, mon attention est flottante : j’avoue, il m’arrive très souvent de regarder des vidéos sur YouTube et en même temps de scroller sur Instagram et TikTok. Ou de lire mes mails. Ou un article. Ou de cuisiner. Ce n’est pas parce que la vidéo ne m’intéresse pas, ni que je ne parviens pas à fixer mon attention. En fait, cela dépend des moments : certes je souffre sans doute d’un TDA, mais je suis aussi capable de me concentrer deux heures sur un livre sans rien faire d’autre. Mais en l’occurrence, je pense que c’est une autre forme de concentration : même si je n’ai pas l’air de suivre, mon cerveau me prévient qu’il y a quelque chose d’intéressant, afin que je puisse me refocaliser. En fait, je me suis rendu compte que je parvenais très bien à penser à deux choses à la fois.
Pour les ingrédients, il y a donc prioritairement les livres, les articles qui me parviennent grâce à mon système de curation de contenu (j’utilise simplement netvibes), les podcasts (c’est le plus compliqué car je les écoute en conduisant, et Siri s’obstine à refuser de prendre des notes vocales, je suis donc obligée de garder l’idée dans ma tête jusqu’à ce que je puisse la noter), les newsletters et les réseaux sociaux : même en scrollant sans but spécial, ce qui pour beaucoup semble une perte de temps, il m’arrive de voir jaillir des idées. Je prends beaucoup de captures d’écran, pour y revenir plus tard. Et tout ce qui constitue mes rendez-vous avec l’artiste.
Cela donne des ingrédients très variés, qu’il ne me reste plus qu’à cuisiner à plus ou moins long terme.
Mettre les ingrédients à mijoter
L’idée, une fois que l’on a les ingrédients, est donc de se lancer en cuisine. Or, quand on cuisine, on fait souvent plusieurs choses en même temps : pendant que le gâteau du dessert est au four et que les pâtes sont dans l’eau bouillante, on fait revenir les lardons et on prépare la sauce.
J’en avais déjà parlé lorsque je vous avais expliqué mon processus d’écriture, qui fonctionne par couche et implique que j’aie plusieurs projets sur le feu, à des stades divers d’avancement. Des projets sur lesquels je travaille précisément, et d’autres qui fonctionnent en arrière-plan. Pour reprendre la métaphore de la cuisine : certains sont sur feu vif, d’autres sur feu moyen, et d’autres mijotent tranquillement à feu doux. Mais c’est là que s’arrête la métaphore parce qu’ils ne sont pas cloisonnés : je fonctionne par fertilisation croisée, c’est-à-dire qu’une idée ou une note liée à un projet pourra tout à fait faire naître par carambolage une autre idée pour un autre projet. Ou carrément un autre projet.
Je prends donc constamment des notes (accumule des ingrédients) sur une multitude de sujets, sans forcément savoir à quoi ils me seront utiles dans l’avenir, mais simplement parce qu’ils m’intéressent. La plupart donneront des newsletters ou des articles de blog (celui-ci par exemple n’est pas né seulement de l’épisode de podcast et de la newsletter dont je vous parlais plus haut : j’avais déjà pas mal de notes sur la question). Pour le moment, c’est sur feu doux. Je ne fais pas spécialement de recherches sur ces sujets, mais mon cerveau est en mode radar, et me prévient dès qu’il a une piste.
Lorsque j’ai suffisamment de matière, le projet passe à feu moyen : je continue à accumuler des notes, mais cette fois en mode un peu plus pro-actif et intentionnel. C’est-à-dire que je recherche spécifiquement des contenus sur le sujet, même si je ne m’y consacre pas encore pleinement. C’est le cas de tout ce qui est prévu dans mon calendrier éditorial à plus ou moins longue échéance (blog et newsletter) et du projet Déesses.
Enfin on passe à la phase d’écriture proprement dite, à feu vif : relecture des notes, dernières recherches en cas de besoin. C’est le cas en ce moment du projet Adèle.
Cet enchaînement n’est pas immuable. Certains sujets passent directement du feu doux au feu vif (cet article, par exemple). Un projet mis sur feu vif peut revenir à feu moyen : avec le NaNoWriMo il y a deux ans, j’avais passé Adèle à la dernière étape beaucoup trop rapidement, et c’est pour cela que ça avait échoué. Il n’arrive en revanche que très très rarement que j’éteigne le feu.
Tout cela étant posé, je pense que je vais poursuivre mes recherches sur le sujet, que je trouve passionnant, et donc remettre sur feu doux (oui, cela peut arriver aussi, c’est l’inverse de l’effet Zeigarnik, chez moi les dossier sont rarement refermés et c’est comme ça que j’ai toujours de nouvelles idées qui me viennent pour des livres déjà publiés) : même si mon processus est bien rôdé, et convient parfaitement au fonctionnement de mon cerveau (et ça, je pense que c’est un long travail d’introspection et de tâtonnements de trouver le sien, qui ne sera pas celui du voisin) je pense que je peux encore l’optimiser, et j’ai très envie de me pencher sur le contenu d’Eliott Meunier, notamment (qui utilise exactement la même métaphore) !









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