C’est une phrase dont je me suis rendu compte que je l’écrivais souvent dans mes textes, souvent sortant de la bouche de personnages masculins, je ne sais pas pourquoi : les plaisirs différés sont les meilleurs.
Mais j’ai beau l’écrire, j’ai un mal fou à l’appliquer. Je suis accro aux plaisirs immédiats, aux récompenses instantanées. Il paraît d’ailleurs que c’est un des nombreux signes du burn-out chez les femmes : le besoin de compenser par des plaisirs à court terme. Je pense qu’il y a de ça, en effet, néanmoins je pense que cela remonte plus loin, et ce n’est pas uniquement une histoire d’être addict à la dopamine, ce neurotransmetteur que l’on a surnommé la molécule du plaisir et qui, agissant comme une drogue, nous pousse à satisfaire immédiatement nos envies, plutôt que de remettre à plus tard.
En fait, il se trouve qu’à un moment de ma vie, j’ai remis à plus tard. J’ai sacrifié les plaisirs immédiats, que l’on va résumer en « m’amuser et profiter de ma jeunesse », au profit de ce que j’imaginais des gratifications futures beaucoup plus importantes. Essentiellement, avoir un bon métier. Or, cette ambition a échoué, j’ai sacrifié bien des choses pour ce qui est un job alimentaire et ne m’épanouit pas le moins du monde, au contraire, puisqu’il alimente le besoin de compenser immédiatement tous les déplaisirs qu’il me procure, parce qu’il faut bien équilibrer la balance. Comme ce job ne nourrit pas mes besoins et ne respecte pas mes valeurs, je me retrouve à combler ces besoins et nourrir mes valeurs par ce qui est le plus simple et le plus rapide.
En fait, je suis devenue intolérante à la frustration par manque de confiance dans l’avenir : à quoi bon se priver de quelque chose aujourd’hui, alors que demain n’existera peut-être pas ? Les plaisirs différés sont peut-être les meilleurs, oui, quand ils existent, mais parfois, on diffère son plaisir, et il n’y en a pas du tout au bout du compte. On a lâché la proie pour l’ombre.
Cela donne : à quoi bon économiser pour un projet qui ne se fera peut-être jamais ? A quoi bon faire du sport, manger sainement, alors que demain je peux me faire écraser par un camion et que cela n’aura servi à rien ? Cette journée ne m’a procuré que du déplaisir, il faut tout de même qu’elle ait valu le coup d’être vécue, ne serait-ce que pour ce fromage à la truffe / cette jolie veste oh et puis je ne vais pas y ajouter un désagrément de plus en faisant du sport ?
Evidemment, c’est aussi une question de croyances profondes et de vision du monde. Profiter de la vie, ici et maintenant, ou remettre à plus tard, quel que soit le plus tard. La pensée chrétienne, notamment, base tout son principe sur l’idée que ce monde n’est qu’une vallée de larmes, et qu’il n’est pas question d’y chercher du plaisir, qui est de toute façon condamné, et notamment le plaisir sexuel ; mais, en récompense, si on se sacrifie bien dans cette vie, on aura accès au Paradis. Je caricature un peu, mais vous voyez l’idée, et n’étant pas chrétienne, cette manière de penser n’est bien évidemment pas du tout la mienne. Car il y a bien deux manières de vivre sa vie et d’utiliser son énergie, nous montre Balzac dans La Peau de chagrin : tout dépenser tant qu’il y a de la vie, quitte à mourir jeune, ou bien capitaliser, se priver, pour prolonger l’existence. Et moi j’ai besoin d’intensité, ici et maintenant.
J’ai toujours trouvé sans intérêt l’idée de vivre centenaire, si c’était au prix de sacrifices sur les plaisirs de la vie. Si c’est pour s’ennuyer.
Pourtant, ces derniers temps, quelque chose a commencé à bouger. Cela s’est fait progressivement, à la lumière d’une prise de conscience. Je ne changerai pas de vision globale du monde, néanmoins je me suis rendu compte que je pouvais rééquilibrer certaines choses, et notamment cette balance plaisir/déplaisir de mes journées. Voir le verre à moitié plein, en me disant que, globalement, j’étais heureuse, ou plutôt, que j’étais heureuse à temps partiel ; je ne le voyais pas parce que la souffrance est totalitaire, et que toute journée que j’avais dû consacrer à mon travail alimentaire était considérée comme une journée qui n’avait pas valu la peine d’être vécue si je n’y ajoutais pas des récompenses à court terme. Or, ces journées-là, il y a aussi de la vie : j’écris, je lis, je fais des choses que j’aime, pas assez certes, dans les interstices, mais elles ne sont pas intégralement gâchées.
C’est ce qui m’a permis de rééquilibrer un peu les choses : avec ceci à l’esprit, j’ai pu commencer à voir un peu plus loin. A moyen terme, disons. Et donc à pouvoir être un peu plus disciplinée sur ce qui ne m’apporte pas tellement de plaisir sur le coup, mais a des bénéfices agréables, d’autant plus que ces quelques réglages ont eu des bénéfices visibles assez rapides, ce qui m’aide à rester motivée.
Bien sûr, il y a toujours des journées aspirées dans un long tunnel d’ennui et de déplaisir, où j’ai besoin d’un shoot de dopamine rapide pour les exorciser. Mais ce shoot de dopamine peut parfois être écrire, peindre, avancer sur un projet ou lire dans mon lit, puisque c’est ça finalement qui me procure le plus de plaisir dans ma vie, remplit mes besoin et est aligné avec mes valeurs !









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