Inconscient collectif, de C. G. Jung

L’amour ne se limite pas à tel ou tel domaine de la vie, il surgit dans tous les aspects de la vie humaine : c’est une question éthique, sociale, psychologique, philosophique, esthétique, médicale, physiologique, pour ne citer que quelques unes des facettes de ce phénomène aux multiples reflets.

J’avais ce recueil d’articles en ligne de mire depuis que sa sortie avait été annoncée : des inédits en français, écrits entre 1918 et 1951, et qui portent essentiellement sur la notion d’inconscient collectif, l’importance de nous relier à notre inconscient et notamment à nos rêves, qui nous indiquent ce qui demande à émerger et à être pris en compte. Je ne vais pas résumer article par article, mais essayer de mettre en évidence les aspects essentiels.

Qu’est-ce que l’inconscient collectif ?

Tout d’abord, C. G. Jung expose, à diverses reprises, sa conception de l’inconscient collectif, et ses divergences avec Freud (qui se prend pas mal de balles perdues au passage).

Selon l’école freudienne, l’homme en tant qu’être civilisé ne peut pas vivre complètement certaines pulsions et désirs, incompatibles avec la loi et la morale, et il doit donc les réprimer. Ces désirs deviennent alors inconscients, on les oublie, c’est le mécanisme du refoulement. Mais cette présence invisible que l’on va appeler inconscient influence les processus conscients sous forme de perturbations psychologiques et même parfois physiologiques. Or, la sexualité étant une pulsion fondamentale, mais entravée par les tabous moraux et les lois répressives, la majorité de ces contenus inadmissibles est de nature sexuelle.

Premier désaccord entre Freud et Jung : ce dernier estime qu’il n’est pas prouvé que la sexualité soit la pulsion fondamentale (ni d’ailleurs la volonté de puissance théorisé par Adler), et préfère parler d’énergie vitale, de libido.

D’autre part, à cet inconscient personnel, il ajoute la notion d’inconscient collectif, d’essence formelle, mythologique et imagée. Il n’y a pas d’article où il creuse plus avant, et notamment la question des archétypes, sinon rapidement ceux de l’animus, de l’anima et du Soi.

Le devoir de se relier à son inconscient et de se connaître soi-même

Pour Jung, tout part de l’individu, qui doit affronter le Mal en lui-même, et c’est le renouveau individuel qui entraînera le renouveau du collectif. Dans ces articles, il ne parle pas du processus d’individuation, mais plus globalement du développement psychique de l’individu.

L’idée de base, c’est que moins ont prend en compte son inconscient, moins on dialogue avec lui, plus il se manifeste sur un mode conflictuel, sous la forme de dysfonctionnement on l’a vu, mais aussi par mécanisme de projection, qui fait qu’on projette sur l’autre ce qu’on ne veut pas voir en soi. Il est donc nécessaire de se connaître soi, ce qui est pour lui un des rôles fondamentaux de l’école, mais aussi, évidemment, de la psychothérapie, qui ne consiste pas seulement à rechercher les causes des comportements, mais à les modifier.

C’est le rôle de la psychologie des profondeurs, qui s’appuie sur le fait que nous sommes tous des êtres doubles conscient/inconscient : tout le travail de chaque individu, essentiel pour éviter l’émergence du mal, est de ramener à la conscience les contenus inconscients, car seul l’apport de l’inconscient rend la personnalité entière : l’homme du futur, selon Jung, sera capable d’interagir avec son ombre au lieu de la projeter. Ce dialogue passe par les rêves, qui nous indiquent les conflits entre le Moi et l’ombre et permettent de faire émerger l’archétype du Soi. Cela passe aussi par la créativité.

Le postulat de départ, c’est que la psyché individuelle est un jeu complexe entre des facteurs instinctifs (la faim, la sexualité, l’activité, la réflexion, la créativité), des modalités (mi-psychiques : le sexe, l’âge, les prédispositions héréditaires, et psychiques : conscient/inconscient, extraversion/introversion, esprit matière) et des facultés de la conscience (pensée, sentiment, intuition), certains de ces éléments étant à la base du MBTI. La variabilité de ces facteurs est infinie, d’autant que la psyché possède une grande aptitude au changement.

Comprendre son propre fonctionnement psychique n’est pas un travail facile, mais il est essentiel : à plusieurs reprises, Jung insiste sur l’importance de se consacrer à soi pour se connaître : cela n’a rien d’égoïste, au contraire, car c’est le seul moyen de connaître aussi les autres et de s’adapter au monde extérieur. Il pose les bases de ce qu’on appelle aujourd’hui le développement personnel.

Le combat contre le Mal

Compte-tenu du contexte, plusieurs articles sont consacrés à l’actualité, à la psychologie des masses et au nazisme. Dans un des articles, il qualifie même le monde d’ »asile à ciel ouvert« , et je pense que ce qu’il dirait du nôtre serait du même style. Pour Jung, les masses sont influençables, immorales et hors de portée d’arguments raisonnables, et ont un penchant naturel pour les chefs, en général le plus toqué.

En effet, dans certains contextes de vulnérabilité, on assiste à un assaut de forces primitives violentes et cruelles, qui brisent les barrières morales et agissent par contagion psychiques : les individus qui n’ont pas intégré leur ombre la projettent sur l’autre qui devient l’ennemi, ces individus deviennent une foule, dont émerge un chef, celui qui a le plus grand complexe d’infériorité et donc la plus grande volonté de puissance, celui qui n’a aucune barrière morale, et il entraîne la foule. Et elle devient imperméable à toute logique et à tout raisonnement.

On voit bien, malheureusement, comment ce phénomène est en train de se répéter. La seule solution, pour Jung, est de partir de l’individu : puisqu’on ne peut raisonner la masse, il faudrait parvenir à immuniser chaque individu pour éviter la contagion du mal et l’effet de masse, chaque individu ayant un effet sur d’autres individus et s’impliquant pour les changer. La résolution part donc de l’émergence de guides moraux influents, qui se sont d’abord changés eux-mêmes parce qu’ils ont vus que quelque chose n’allait pas chez eux au lieu de le projeter, et ont été capables d’intégrer les contenus de leur inconscient. Malheureusement, pour Jung, ces « hommes du futur » capables de semer des graines de changement ne sont en général pas les dirigeants politiques (dont il suggère qu’il faudrait d’ailleurs les évaluer psychiatriquement avant de les élire).

Bref : avant de vouloir changer notre voisin, commençons par nous changer nous-même !

Conclusion

Un ouvrage fondamental. La prochaine fois que l’on me demandera par quel ouvrage commencer pour s’initier à la pensée jungienne, en plus de son autobiographie et de l’excellent essai que lui a consacré Frédéric Lenoir, je citerai ce recueil, extrêmement clair et précis : s’adressant parfois à des publics de non spécialistes, Jung s’y montre très pédagogique et fait l’effort de structurer sa pensée, qui est habituellement en arborescence, et donc difficile à suivre pour qui ne pense pas de cette manière.

Bien sûr, c’est parfois répétitif (c’est le jeu des recueils d’articles), certains raisonnements et prises de positions sont datés et sujets à caution, mais à remettre dans le contexte, et j’ai à l’occasion été en désaccord théorique, notamment lorsqu’il postule la supériorité du monothéisme et notamment du christianisme sur les formes de pensée « primitives », qu’il qualifie parfois de « barbares ». Alors même que dans d’autres articles (pas dans le recueil), il montre l’insuffisance du monothéisme, notamment en ce qui concerne la psyché féminine, à qui il ne propose pas d’archétypes structurants.

Ce recueil ne fait pas non plus le tour de tous les apports de Jung : comme je l’ai dit, il ne creuse pas la question des archétypes, ni de l’individuation, et toute la dimension spirituelle autour des synchronicités et du numineux n’apparaît pas. Ce n’était pas l’objet.

Cela reste néanmoins un recueil essentiel, passionnant et nourrissant, particulièrement utile comme initiation.

Inconscient collectif (lien affilié)
C. G. JUNG
Traduit de l’allemand par Véronique Liard et Alix Gaillard-Dermigny / Traduit de l’anglais par Monique et Michel Bacchetta
La Fontaine de Pierre, 2025

9 réponses à « Inconscient collectif, de C. G. Jung »

  1. Avatar de James Jones

    Effectivement, très intéressant.
    Merci pour la découverte de l’ouvrage ^^

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      C’est réellement passionnant !

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  2. Avatar de Catherine Grangeard
    Catherine Grangeard

    Merci ! très éclairant même si on n’est pas Jungien(ne) parce que notre époque a besoin de réfléchir … Catherine Grangeard Psychanalyste Psychologue

    783 rue chennevières

    78760 Jouars-Pontchartrain

    06 17 27 16 54 Blog: Catherine Grangeard https://catherinegrangeard.blogspot.com/

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    1. Avatar de Caroline Doudet

      Oh que oui, l’époque a besoin de réfléchir !

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  3. Avatar de Miss Zen

    Très intéressant ;j’apprends des choses et j’adore ça.

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  4. Avatar de Mon inconscient et ses gros sabots – Caroline Doudet

    […] Jung, il est nécessaire de prendre en compte l’inconscient, de dialoguer avec lui, afin […]

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  5. Avatar de Archétypes : qui êtes-vous ? De Caroline Myss – Caroline Doudet

    […] de Jung à la psychologie. Définis comme des symboles primitifs universels, appartenant à l’inconscient collectif, ils structurent la psyché en tant que formes dans lesquelles s’organise le contenu. On les […]

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  6. Avatar de Animus et Anima, d’Emma Jung – Caroline Doudet

    […] Et comme Carl Gustav Jung l’a montré, à l’inconscient personnel s’ajoute l’inconscient collectif, dans lequel existent des images ou figures caractéristiques qui émergent en tout temps et en […]

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