L’effet Mandela pourrait être défini très simplement comme un faux souvenir collectif. La première a en avoir parlé est la chercheuse américaine Fiona Broome, spécialiste du paranormal, qui lui a donné ce nom car elle était convaincue que Nelson Mandela était décédé en prison dans les années 80, alors que dans la réalité dans laquelle nous vivons, il a été libéré en 1990 après 27 ans d’enfermement, est devenu président de la République d’Afrique du sud en 1994 et est mort en 2013. Mais après tout, croire qu’une personne publique est décédée alors que pas du tout est assez courant. Sauf que dans le cas présent, ils étaient des milliers à avoir ce souvenir, et des images précises de son enterrement, très semblables.
L’effet Mandela a été prouvé par une étude des psychologues Deepasri Prasad et Wilma Bainbridge de l’Université de Chicago, en 2021. L’étude montre, pour faire simple, que sur certaines images, la plupart des participants choisissent une image erronée, toujours la même, et avec assurance. Par exemple, nous sommes collectivement convaincus, en majorité, que le petit bonhomme Monopoly porte un monocle, alors que pas du tout. Ou que le logo de la marque de t-shirt Fruit of the loom comporte une corne d’abondance en plus des fruits, alors qu’il n’y en a pas.
Des histoires comme cela, il y en a des dizaines.
Celle que je trouve la plus dingue, c’est celle du film qui n’a jamais existé : des milliers d’Américains sont ainsi persuadés d’avoir vu un film qui s’appelle Shazaam. Ils peuvent en décrire précisément l’affiche, raconter l’histoire, en citer des répliques avec exactitude, et j’ai un jour, sur feu Twitter, assisté à une conversation sur ce film. Les souvenirs se recoupaient. Mais le film n’a jamais existé, on n’en trouve aucune trace, et l’acteur principal, un comique nommé Sinbad, l’a confirmé.
Pour ma part, j’ai un souvenir très bizarre, mais qui s’est finalement restauré, au sujet de l’enterrement de Lady Di. Je me souviens parfaitement des images, avec la Reine Elisabeth II devant Buckingham s’inclinant au passage du cercueil. Sauf que. Pendant plusieurs années, ce sont d’autres images que je trouvais systématiquement : le passage du cercueil oui, mais la Reine n’était pas devant Buckingham. Et cela me rendait folle, parce que j’étais tout de même bien sûre de ce que j’avais vu. Et finalement, les images sont revenues telles que je les connaissais.
Il n’y a aucune véritable explication à ce phénomène, uniquement des hypothèses. Les scientifiques parlent d’hallucinations collectives, ou d’erreur qui se répand par le bouche à oreille, et cette analyse est tout à fait crédible pour nombre de cas : ainsi nous sommes nombreux à penser mordicus que Dark Vador dit « Luke, je suis ton père » alors qu’il dit « Non, je suis ton père », mais c’est sans doute que la réplique est devenue un mème dans sa version erronée, et qu’à force de l’entendre de cette manière, c’est elle qui s’est ancrée dans notre esprit.
Néanmoins, cette explication me paraît plus difficile à tenir lorsqu’il est question de visuels et a fortiori de souvenirs d’événements. Comme beaucoup, je crois plutôt que c’est un indice de l’existence de ces fameux multivers et leurs réalités parallèles. Si tout choix mène à une bifurcation et à la naissance d’une réalité parallèle dans laquelle nous avons fait un autre choix, il existe donc plusieurs versions d’un même fait. Et ces univers parallèles ne sont peut-être pas aussi étanches qu’on le croit, peut-être parfois se superposent-ils, voire se mélangent, ou se rejoignent et se fondent l’un dans l’autre, et lorsqu’il s’agit de personnalités publiques beaucoup de monde est impacté. Mais c’est exactement la même chose que lorsqu’en famille ou entre amis on se dispute au sujet d’un souvenir commun qui n’est pas le même. On met souvent cela sur le compte des défaillances de la mémoire. Mais si c’était autre chose ? Si nous avions des souvenirs différents parce que nous avons effectivement vécu des événements différents ?
A titre personnel, je trouve cela passionnant, riche en questionnements existentiels (sans réponse pour le moment). Et en tant qu’autrice, je trouve cette hypothèse fascinante. Pourtant je n’écris pas de science-fiction : ce qui m’intéresse (et qui est le sujet d’Adèle) c’est la manière dont ces différentes réalités peuvent s’entremêler et façonner notre existence.









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