Un retour à l’amour, de Marianne Williamson

Manuel de psychothérapie spirituelle : lâcher prise, pardonner, aimer

L’amour est énergie. Nous ne percevons peut-être pas l’amour avec nos sens physiques mais nous sommes d’habitude capables de dire si nous le ressentons ou non. Très peu de personnes sentent assez d’amour dans leur vie. Le monde est devenu un lieu sans amour. Il nous est même difficile d’imaginer un monde dans lequel nous nous aimerions toujours tous les uns les autres. […] Il n’y aurait plus de douleur. Il n’y aurait plus que la paix.

L’amour : un cheminement

Mon sujet, c’est l’amour : il était donc logique que je finisse par lire ce best-seller de Marianne Williamson, Un retour à l’amour, dans lequel elle raconte son cheminement à la fois philosophique et existentiel, fait de tâtonnements et de recherche de soi, dans la pratique de l’amour.

Il ne s’agit pas complètement d’un essai. Marianne Williamson s’appuie sur Un cours en miracles, une sorte de Bible New Age dont nous reparlerons peut-être un jour vu que, par curiosité, je l’ai acheté, pour nous raconter son cheminement. La première partie, assez courte, est consacrée à la théorie : l’enfer, Dieu, Vous, l’abandon et les miracles. La deuxième, plus longue, et somme toute plus intéressante, s’attache à la pratique : les relations, le travail, le corps, et le ciel.

L’ensemble est plutôt intéressant et agréable à lire, parce qu’il s’agit avant tout d’une expérience personnelle et que cela m’intéresse toujours, le cheminement spirituel et existentiel des gens. Et, dans les grandes lignes, je suis plutôt d’accord avec ce qui est dit, en tout cas sur le point de départ. Mais il y a aussi eu pas mal de points de friction.

L’amour : notre essence

Le point de départ, avec lequel je suis on ne peut plus d’accord, est que l’amour est à l’origine de tout, qu’il est notre essence est que seul l’amour peut guérir le monde. Tout le mal ne vient que d’une chose : la peur, et la séparation d’avec l’amour.

Il s’agirait donc bien, pour guérir le monde, de faire retour à l’amour, et d’apprendre de lui : les relations seraient donc un laboratoire de croissance, et j’ai particulièrement été intéressée par le chapitre sur les trois niveaux d’enseignement dans les relations :

Le premier niveau est ce que nous considérons comme une rencontre banale, celle où deux étrangers se rencontrent dans un ascenseur ou des étudiants à qui « il arrive » de rentrer ensemble chez eux de l’école. Le second niveau est une « relation plus durable, dans laquelle, pendant un moment, deux personnes vivent une situation d’enseignement-formation assez intense puis ensuite semblent se séparer« . Le troisième niveau d’enseignement est une relation qui, une fois nouée, dure toute la vie. A ce niveau, « chaque personne reçoit un partenaire choisi, qui lui présente un nombre illimité d’occasions d’apprendre« .

Toute cette réflexion, c’est aussi la base de mon travail notamment sur le couple comme creuset de transformation personnelle, fruit de mon propre parcours, et les pages sur les blessures, les armures que nous mettons pour nous protéger, l’éternité de certaines relations même achevées m’ont beaucoup fait réfléchir.

Reste que, comme souvent, je n’ai pas été d’accord avec certaines choses. Mais comme je le dis toujours : c’est intéressant aussi, car en se confrontant avec une pensée avec laquelle on est en désaccord, on clarifie ses idées.

L’amour, le mal et le pardon

Tout d’abord, je suis en désaccord sur la question du mal et du pardon, et je crois que je le resterai toujours, et j’ai trouvé que le livre était parfois plein de bons sentiments dans le mauvais sens de l’expression. Certes, comme je l’ai écrit plus haut, tout le mal vient de la peur et de la séparation d’avec l’amour. Pour autant, cela reste le Mal, et pour moi, la monstruosité est aussi un choix, sinon on aboutit à un relativisme moral que je trouve insupportable.

Oui, il y a des actes impardonnables, et prêcher le pardon s’apparente selon moi sinon à une faute, du moins à une dévaluation de l’amour.

En outre, j’ai de plus en plus de mal avec cette idée d’amour universel. On s’en doute, dans l’histoire, ce qui m’intéresse, c’est l’être aimé unique, c’est sur cela que j’écris, et surtout, je pense qu’il est le plus important. Globalement, je suis plutôt bienveillante avec tout le monde au départ (et c’est déjà beaucoup), mais aimer tout le monde ce n’est pas la même chose et je ne suis pas un golden retriever. Et non, je me tyranniserai pas à aimer ceux qui ne le méritent pas.

En fait, pour moi, aimer tout le monde revient à n’aimer personne, au sens fort du verbe. Si on aime de la même manière le bon comme le mauvais, sans faire de différence, encore une fois cela me pose un problème moral. Pour moi, l’amour a trop de valeur pour le galvauder de la sorte. J’ai toujours trouvé que la parabole de l’enfant prodigue, par exemple, était assez immorale : que le père accueille son fils revenu, soit, mais qu’il le traite mieux que celui qui est resté, cela me dérange.

Et avec cette idée, j’en arrive à ma dernière réserve qui est que, décidément, je n’y arrive pas avec le vocabulaire chrétien. Pourtant, l’ouvrage, Tout comme un cours en miracle, ne l’est pas : il se sert de la terminologie mais est supposé en dépasser la doctrine (même s’il prône tout de même l’abandon, ce qui résiste aussi chez moi).

Reste que ce n’est pas mon vocabulaire, ce n’est pas ma manière de voir le monde, et que je reste convaincue qu’en adoptant les mots de la religion chrétienne on ne peut pas se défaire entièrement de sa doctrine, et cela crée chez moi des résistances que je n’aurais peut-être pas éprouvées avec d’autres mots.

L’amour : notre mission

Au final, j’en conclus que Marianne Williamson et moi ne parlons de toute façon pas de la même chose : même s’il est aussi question dans cet essai d’amour et de couple, sa réflexion reste beaucoup plus large et pour ainsi dire désincarnée (même si elle consacre un chapitre au corps, qui m’a d’ailleurs laissée perplexe).

Cela reste intéressant, cet essai m’a nourrie et m’a obligée à me poser des questions, mais il n’intégrera pas ma liste d’essentiels sur l’amour. Je me demande même si je vais le ranger sur l’étagère dédiée.

Un retour à l’amour (lien affilié)
Marianne WILLIAMSON
Traduit de l’anglais par Ivan Stennhout
Editions du roseau, 1993 (J’ai Lu, 2004)

Eros, Agapè et Amour amoureux

Dix façons de dire l’amour

En grec, il n’y a pas moins de dix mots pour désigner l’amour, du plus animal et charnel au plus élevé.

Il y a porneia, l’amour appétit : je veux te manger, te dévorer, je t’aime animalement.

Il y a pothos, l’amour besoin : tu es tout pour moi et j’ai besoin de toi, comme un enfant.

Il y a mania, l’amour fou, l’amour passion : je t’ai dans la peau, je ne peux pas me passer de toi, je t’aime follement.

Il y a éros, l’amour érotique : je te désire, tu me fais jouir, j’aime ton corps, j’aime ta peau, j’aime tes mains, j’aime ton souffle, je t’aime en moi.

Il y a philia, l’amour amitié : je te respecte et je t’admire, j’aime ta différence, j’aime être avec toi, tu me fais du bien.

Il y a storgè, l’amour tendresse : je suis heureuse quand tu es là, je suis meilleure en ta compagnie.

Il y a harmonia, l’amour harmonie : nous sommes bien ensemble, quand nous sommes tous les deux le monde est plus beau.

Il y a eunoia, l’amour dévouement : j’aime prendre soin de toi, te soutenir, t’élever.

Il y a charis, l’amour célébration : c’est une grâce de t’aimer, une joie, je t’aime sans conditions, tout ton être, sans raison, parce que je t’aime.

Il y a, enfin, l’amour le plus élevé, agapè, l’amour gratuit, l’amour de l’âme : c’est lui qui fait tourner le monde, c’est l’amour en moi qui aime.

Eros et Agapè

Souvent, ce sont ces deux-là qu’on oppose : éros et agapè. L’amour du corps, et l’amour de l’âme.

D’ailleurs, tout comme ils ont dix mots pour désigner l’amour, les Grecs ont aussi deux Aphrodite : l’Aphrodite terrestre, vulgaire, et l’Aphrodite céleste. Dans le Banquet de Platon, dans le discours de Pausanias, ces deux Aphrodite gouvernent deux Eros : l’Eros vulgaire, l’amour physique et superficiel, et l’Eros céleste, l’amour des âmes, l’amour pur (celui des garçons, dans le discours).

Lorsque les religions et les mouvements spirituels nous invitent à l’amour, c’est bien d’agapè dont ils parlent. L’amour des âmes, et même un amour universel qui n’aurait finalement pas d’objet. J’avais déjà parlé, il y a longtemps, de la méditation de l’amour bienveillant.

Sauf que cela ne me convient pas tant. Je l’ai déjà écrit : l’amour est mon sujet. Mais quand je dis cela, c’est de l’amour amoureux dont il est question.

L’amour amoureux : la plus haute forme d’amour ?

Tout le monde ne sera sans doute pas d’accord, mais pour moi, l’amour amoureux est la plus haute forme d’amour, et c’est lui qui est la plus grande force de changement.

D’abord parce que, si on y réfléchit bien, il est finalement une fusion de toutes ces formes d’amour listées plus haut. Dans l’amour amoureux, elles ne s’opposent pas, elles coexistent, et se manifestent tour à tour. Même pothos, l’amour besoin, dont on dit qu’il faut pourtant s’en défaire, reste une composante de l’amour amoureux : si on n’a pas besoin de l’autre, à quoi bon ?

Ensuite parce qu’il n’est pas évident. Ce que je veux dire par-là, c’est qu’il ne nous est pas donné d’emblée, il est recherche et, plus ou moins, choix. Contrairement à notre famille : nos parents, nos enfants nous aiment mais non parce que nous sommes qui nous sommes : ils nous aimeraient tout autant si nous étions radicalement différents.

Alors que dans l’amour amoureux, il y a élection d’une personne parce qu’elle est qui elle est (même si cette élection est inconsciente). Et élection d’une seule personne, avec laquelle on veut passer l’essentiel de son temps, contrairement à l’amitié, qui est élection, mais qui peut être multiple, et ne se traduit que rarement dans un quotidien partagé. Même si cet amour est inconditionnel.

Enfin, parce que l’amour amoureux est le puissant creuset de transformation et d’évolution qui existe : il nous sort de nous-même, nous oblige à enlever nos masques, à faire face à nos peurs et à nos blessures.

Je parle ici, bien évidemment, du véritable amour et non de toutes ses contrefaçons difficiles à détecter et qui, à cause de leur mauvaise qualité, poussent certaines personnes à tout rejeter.

Je terminerai en citant Liam Neeson, même si je nuancerai son propos sur le fait que parfois, l’amour fait un peu mal, quand il nous oblige à fouiller en nous. Mais ça, c’est le sujet du Truc, dont le vrai nom est justement L’Amour, le couteau. Un gros bébé de presque 88 pages qui sortira un jour, je l’espère !

Everyone says love hurts, but that is not true. Loneliness hurts. Rejection hurts. Losing someone hurts. Envy hurts. Everyone gets these things confused with love but in reality, love is the only thing in this world that covers up all pain and makes someone feel wonderful again. Love is the only thing in this world that does not hurt.

Liam Neeson

Les Nuits prodigieuses, d’Eva Dézulier : le monde a soif d’amour

Vous êtes-vous demandé pourquoi la bonté passait pour l’apanage des idiots ? C’est encore et toujours cette haine ! Cette haine qui nous prend, nous soulève contre l’amour absolu ! Nous ne pouvons le tolérer ! Il nous semble parfois une imposture. L’affection de ce chien, dit-on, n’est pas de l’affection. C’est un instinct irraisonné de machine. Pas possible, autrement ! Et si la mère se soumet aux tyrans qu’elle a bercés, c’est une preuve de plus, s’il en fallait, de la faiblesse du sexe féminin ! Nous n’admettons pas l’amour pur. Nous rejetons jusqu’à son existence, la plupart du temps…

Machado est un village frontalier, niché dans les montagne entre la France et l’Espagne. Un village clôt, même si, chaque nuit, des réfugiés passent par-là pour tenter de rejoindre la France. Une nuit, un de ces réfugiés confie à Ange, le berger, les plans d’une étrange machine, pour qu’il la fabrique et la donne à son fils, qu’il ne reverra jamais. Une machine à aimer. Sceptique, Ange est pourtant poussé par une force étrange à construire l’objet, qui va bouleverser la vie des habitants de Machado…

Un très beau roman, à la fois fable et conte, poétique et onirique. Un roman qui nous parle d’amour inconditionnel : celui qui n’a pas de limites, n’attend rien. Chez ceux qui ne sont pas prêts à le recevoir, il déclenche la violence et la haine ; chez d’autres, un immense chagrin inconsolable lorsqu’ils le perdent, à me sure que la boîte passe de mains en mains.

Envoûtant, ce roman, empreint de réalisme magique, m’a beaucoup fait penser à Carole Martinez. En tout cas, c’est une très belle réussite que je vous conseille sans réserves !

Les Nuits prodigieuses
Eva DEZULIER
Elyzad, 2022

Bakhita, de Véronique Olmi

On lui a demandé souvent de raconter sa vie, et elle l’a racontée encore et encore, depuis le début. C’est le début qui les intéressait, si terrible. Avec son mélange, elle leur a raconté, et c’est comme ça que la mémoire est revenue. En disant, dans l’ordre chronologique, ce qui était si lointain et si douloureux. Storia meravigliosa. C’est le titre de la brochure sur sa vie. Un feuilleton dans le journal, et plus tard, un livre. Elle ne l’a jamais lue. Sa vie, à eux racontée. Elle en a été fière et honteuse. Elle a craint les réactions et elle a aimé qu’on l’aime, pour cette histoire, avec ce qu’elle a osé et ce qu’elle a tu, qu’ils n’auraient pas voulu entendre, qu’ils n’auraient pas compris, et qu’elle n’a de toute façon jamais dit à personne. Une histoire merveilleuse. Pour ce récit, sa mémoire est revenue. Mais son nom, elle ne l’a jamais retrouvé. Elle n’a jamais su comment elle s’appelait.

Un des romans phares de cette rentrée littéraire, présent sur plusieurs premières listes de prix et qui vient d’obtenir celui qui ouvre le bal, le grand prix du roman Fnac. Raison d’ailleurs pour laquelle je l’ai lu, puisque cette année encore j’ai eu l’honneur d’interviewer le lauréat. Sinon, je serais peut-être passée à côté, ou j’aurais fini par le lire tout de même, mais en tout cas, je l’avoue, je ne l’avais pas repéré d’entrée de jeu (je manque parfois de nez).

L’histoire est célèbre : celle de Joséphine Bakhita, une ancienne esclave déclarée sainte en 2000 ; autre aveu : je ne la connaissais pas du tout, il est vrai en même temps que je ne m’intéresse pas trop aux vies de saints. Et pourtant : quel destin exceptionnel que celui de Bakhita !

Elle ne se souvient plus de son nom, le vrai nom que lui ont donné ses parents, elle ne connaît que celui de Bakhita, qui lui a été attribué après. Née à Olgossa, au Darfour, en 1869 environ, elle a à peu près 7 ans lorsqu’elle est enlevée est vendue comme esclave

Un destin exceptionnel, storia meravigliosa, par lequel on est happé dès les premières lignes, entraîné par une voix narrative à la fois empathique et pleine de pudeur qui ne nous lâchera pas et nous conduira de l’ombre à la lumière : parfois, la vie a plus d’imagination que le plus créatif des romanciers, et cette vie-là en est un parfait exemple. Exemplum. 

Elle commence par l’arrachement au paradis de l’enfance, l’esclavage, la découverte de ce que l’homme a de pire, la violence insoutenable, la perte de tout, le corps, la langue, le nom, presque parfois l’humanité : comment ne pas se transformer en animal, lorsqu’on est toujours considéré comme tel ?

Mais Bakhita a cette force en elle, cette lumière étrange, cet amour inconditionnel pour les enfants qui lui permettra finalement après avoir traversé l’enfer de retrouver la liberté, malgré les secousses d’un monde qui bascule dans le chaos. La foimais qui me semble beaucoup plus complexe qu’une simple conversion religieuse, beaucoup plus universelle.

Un texte bouleversant, magnifiquement écrit, et qui n’a pas fini de faire parler de lui…

Bakhita
Véronique OLMI
Albin Michel, 2017