Les Nuits prodigieuses, d’Eva Dézulier : le monde a soif d’amour

Vous êtes-vous demandé pourquoi la bonté passait pour l’apanage des idiots ? C’est encore et toujours cette haine ! Cette haine qui nous prend, nous soulève contre l’amour absolu ! Nous ne pouvons le tolérer ! Il nous semble parfois une imposture. L’affection de ce chien, dit-on, n’est pas de l’affection. C’est un instinct irraisonné de machine. Pas possible, autrement ! Et si la mère se soumet aux tyrans qu’elle a bercés, c’est une preuve de plus, s’il en fallait, de la faiblesse du sexe féminin ! Nous n’admettons pas l’amour pur. Nous rejetons jusqu’à son existence, la plupart du temps…

Machado est un village frontalier, niché dans les montagne entre la France et l’Espagne. Un village clôt, même si, chaque nuit, des réfugiés passent par-là pour tenter de rejoindre la France. Une nuit, un de ces réfugiés confie à Ange, le berger, les plans d’une étrange machine, pour qu’il la fabrique et la donne à son fils, qu’il ne reverra jamais. Une machine à aimer. Sceptique, Ange est pourtant poussé par une force étrange à construire l’objet, qui va bouleverser la vie des habitants de Machado…

Un très beau roman, à la fois fable et conte, poétique et onirique. Un roman qui nous parle d’amour inconditionnel : celui qui n’a pas de limites, n’attend rien. Chez ceux qui ne sont pas prêts à le recevoir, il déclenche la violence et la haine ; chez d’autres, un immense chagrin inconsolable lorsqu’ils le perdent, à me sure que la boîte passe de mains en mains.

Envoûtant, ce roman, empreint de réalisme magique, m’a beaucoup fait penser à Carole Martinez. En tout cas, c’est une très belle réussite que je vous conseille sans réserves !

Les Nuits prodigieuses
Eva DEZULIER
Elyzad, 2022

La Sirène, le Marchand et la Courtisane, de Imogen Hermes Gowar : cabinet de curiosité

Et puisque l’amour entrave le jugement et l’expérience même chez les esprits les plus sages, que espoir y a-t-il pour le reste d’entre nous ?

Quel drôle de titre. Il me fait penser à Lautréamont, et à cette rencontre fortuite entre un parapluie et une machine à coudre sur une table de dissection qui crée le beau. Et c’est exactement ce qui se passe dans ce roman.

Londres, 1785 : Mr Hancock, un marchand, est bien surpris lorsque le capitaine d’un de ses bateaux, dont il n’avait plus de nouvelles, revient certes sans le bateau, mais avec une Sirène. Objet de curiosité, celle-ci va faire basculer le destin de son propriétaire.

Etrange roman, à dire vrai : plein de fantaisie et d’onirisme, il flirte avec le conte philosophique pour interroger les forces sombres de l’inconscient et du désir. La Sirène : ce qui nous tente, ce que nous désirons, mais que nous ne pouvons pas avoir. Il se dégage des pages, par moment, une insondable tristesse, qui nous touche comme elle touche les personnages, comme si le roman avait quelque vertu magique. Quant aux personnages eux-mêmes, ils sont particulièrement touchants, notamment Angelica, la Courtisane, qui m’a beaucoup émue…

Un roman que j’ai pris énormément de plaisir à lire, et que je vous recommande chaudement si vous avez besoin d’un peu d’évasion !

La Sirène, le Marchand et la Courtisane
Imogen Hermes GOWAR
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Maxime Berrée
Belfond, 2021

En attendant Noël : une seconde avant Noël, de Romain Sardou

Tu ne dois pas seulement inventer un personnage, tu dois créer un esprit de Noël, un esprit de fête et de communion entre les grands et les petits, entre les riches et les pauvres, c’est ce qui fait cruellement défaut au monde aujourd’hui. Noël ne signifie plus rien. Tu dois redonner du sens à cette date. Pour cela, il faut partir des enfants. C’est eux, la clé de tout. Ne te méprends pas, tu vas accomplir la première intervention des anges sur la Terre depuis très longtemps : eh bien, que cela par et pour les enfants.

L’autre jour, après avoir fait mes sablés, j’avais envie de lire une histoire de Noël installée devant mon sapin. Mais je voulais vraiment un conte, pas une comédie romantique. Et puis je me suis souvenue que depuis 10 ans, je n’avais toujours pas lu la dernière des trois histoires de Noël de Romain Sardou, faute d’y avoir pensé, et c’était exactement ce que je cherchais. Heureux hasard (!!!) elle vient juste d’être éditée en édition collector !

Il y a bien longtemps, tous les êtres magiques ont déserté la terre, ne laissant aux humains que les contes et légendes et Noël pour se souvenir de la magie. Tous ? Nous verrons que non, mais pour l’heure, réfugiés dans la constellation du Petit Cheval, ils surveillent la Terre, attendant que les humains grandissent et soient à nouveau prêts à les accueillir. Et ils sont inquiets : Noël est en perte de vitesse et les enfants ne croient plus en la magie. Il faut donc créer un esprit de Noël, redonner du sens à cette fête, grâce aux enfants. Et qui mieux qu’un enfant peut faire ce travail ? Cet enfant, ce sera Harold Gui, un petit orphelin anglais…

Une très jolie histoire. Le début néanmoins est abominablement triste : on est chez Dickens, avec un petit orphelin anglais au milieu du XIXe siècle, dans une petite ville minière sombre et sale, les enfants sont obligés de travailler et meurent de fin. Et c’est bien là que la magie de Noël opère. Le conte, par le biais d’un narrateur joyeux qui ne cesse de s’adresser au lecteur, nous transporte à l’origine du Noël que nous connaissons aujourd’hui : un gros bonhomme rouge qui vit au Pôle Nord et qui, la nuit de Noël, s’installe sur un traîneau volant tiré par des rennes magiques et distribue des jouets à tous les enfants, jouets fabriqués par des lutins. Et ça, c’est la plus belle magie, celle qui permet aux enfants de s’émerveiller et aux adultes de garder le cœur ouvert !

A lire absolument en cette période (ainsi que les autres, ils sont indépendants mais sont tout de même liés).

Une seconde avant Noël
romain SARDOU
XO, 2020

Klaus, de Sergio Pablos : le plus poétique des films de Noël

Un acte désintéressé en entraîne toujours un autre. 

D’humeur pas spécialement joyeuse, je me suis mise vendredi soir dernier devant le premier film d’animation proposé par Netflix, et qui ambitionne rien de moins que de nous raconter la légende à l’origine du personnage de Santa Klaus.

Jasper est le fils du directeur de la Poste : vénal, paresseux, il ne pense qu’à son confort, et en désespoir de cause son père l’expédie à Smeerensburg, une petite île où règne une guerre des clans sans pitié. Son objectif ? Que 6000 lettres soient envoyées dans l’année, ce qui promet d’être impossible tant tout le monde déteste tout le monde. En cherchant désespérément qui voudrait bien envoyer une lettre, Jasper fait la rencontre de l’Ermite de la forêt, Klaus, qui passe ses journées à fabriquer des nichoirs à oiseaux et dont la maison est remplie de jolis jouets en bois…

Ce film est une petite pépite qui m’a plus d’une fois mis la larme à l’œil et m’a redonné foi en l’humanité (ce qui est pour ainsi dire un miracle de Noël) : certains diront que c’est dégoulinant de bons sentiments, mais c’est tout à fait ce dont nous avons besoin en cette période de l’année, non ? Ce film est généreux, poétique, plein de bienveillance et de joie même s’il sait aussi se montrer mélancolique parfois : il nous montre comment finalement la gentillesse et la gaieté peuvent changer les gens et rendre le monde plus beau. Et l’amour, bien sûr. L’histoire est belle, et les images sublimes : il s’en dégage une grâce et une lumière qui nous rappellent les dessins animés un peu anciens, quelque chose d’un peu vintage qui sert parfaitement le propos du conte.

Bref, un coup de cœur pour ce joli conte de Noël qui ravira les enfants mais aussi les grands !

Klaus
Sergio PABLOS
Netflix, 2019

La classe de neige, d’Emmanuel Carrère : l’ogre dévoreur d’enfants

La maîtresse reconnut qu’on ne pouvait pas en être certain, hélas. Elle pouvait seulement dire qu’on était très pointilleux sur la sécurité, que le chauffeur conduisait prudemment et que des risques raisonnables faisaient partie de la vie. Pour être absolument certains que leurs enfants ne soient pas écrasés par une voiture, il faudrait que les parents ne les laissent jamais sortir de la maison ; et encore, ils n’y seraient pas à l’abri d’un accident avec un appareil ménager, ou simplement de la maladie. Certains parents admirent la justesse de l’argument, mais beaucoup furent choqués par le fatalisme avec lequel la maîtresse l’exposait. Elle souriait même en disant cela. 

Je suis allée une fois en classe de neige, quelque part en Auvergne ou par là-bas. Je n’en garde pas un très bon souvenir : d’abord il n’y avait pas de neige, et le seul jour où il n’y en a eu, je me suis blessée au genou. Je ne suis jamais remontée sur des skis depuis, et je crois bien que de toute façon je ne serais guère douée pour cette activité, qui demande un certain sens de l’équilibre, et l’équilibre, c’est chez moi comme ce qu’on appelle la raison : sous-développé. Cela étant dit, j’avais très envie de découvrir enfin Emmanuel Carrère dans le registre de la fiction, notamment avec ce roman sur lequel j’étais tombée par hasard (enfin, façon de parler) l’autre jour.

Nicolas est un enfant à part, isolé et moqué par les autres autant qu’il est surprotégé par ses parents. Ce séjour en classe de neige, en collectivité, s’annonce donc, dès le départ, comme une épreuve pour lui, épreuve qui se transforme en cauchemar.

Un roman prodigieusement angoissant, parfaitement mené, dans lequel on reconnaît parfaitement la manière de Carrère, ses obsessions et notamment celle pour le tragique du fait divers, et qu’il est passionnant de lire à la lumière de ses œuvres ultérieures, car tout y est déjà en germe. De fait, L’Adversaire plane déjà sur ce roman qui en constitue presque une première pierre.

Mais c’est aussi un extraordinaire roman initiatique de la transformation et du passage à l’âge adulte. Ecrit à hauteur d’enfant, puisque le point de vue adopté est celui de Nicolas même s’il est écrit à la troisième personne, il fonctionne comme un conte. Cruel, mais un conte. De fait j’ai, encore une fois, beaucoup réfléchi à ce roman à travers le prisme de Femmes qui courent avec les loupsJe sais, cela devient une manie, mais je ne crois pas me tromper même si Carrère ne pouvait pas l’avoir lu, mais comme je l’ai déjà dit, la force des génies est de comprendre intuitivement des choses qui n’ont pas encore été clairement formulées. Nicolas est un garçon mais cela ne change rien au propos : c’est un enfant étouffé, empêché, sur la psyché duquel plane un grave danger : barbe-bleue, ogre dévorant, qui l’empêche d’être lui-même ; il connaît l’origine de ce danger mais ne peut le formuler clairement, et ses nuits sont peuplées de cauchemars. On retrouve, ici, de nombreux éléments du conte, les motifs de la neige, de la forêt, mais aussi des références directes, notamment à La Petite sirène, conte préféré de Nicolas qui repense à cette nuit où elle se transforme, et perd sa jolie queue de poisson et sa voix mélodieuse pour avoir des jambes, là où ce qui était encore elle combattait ce qui serait bientôt elle. Conte du passage à l’âge adulte : devenir adulte, c’est perdre quelque chose dans la douleur, pour trouver autre chose. Et ce que Nicolas perd, c’est toute son innocence…

Bref, un roman exceptionnel, assez court mais d’une richesse incroyable ! Je ne me lasse décidément pas de découvrir les œuvres de Carrère que je n’ai pas encore lues !

La Classe de neige
Emmanuel CARRÈRE
POL, 1995 (Folio, 1996)

La Belle et la bête, de Bill Condon

Il n’y a pas de place dans l’Univers pour un être tel que moi…

La Belle et la bête est l’un de mes contes préférés : le film de Cocteau est l’un de mes plus marquants souvenirs cinématographiques d’enfance, Belle est un des plus beaux personnages de « princesse » selon moi, et le dessin animé de Walt Disney, vu tardivement, est un enchantement, et comme tout le monde je crois j’éprouve un amour absolu pour la petite tasse ébréchée et sa maman ; quant à Emma Watson, c’est une actrice que j’admire énormément, pour sa beauté, son élégance, son attachement à la littérature et son engagement féministe intelligent.

Autant de raisons pour lesquelles, donc, je voulais absolument voir ce film (et puis aussi parce que c’est bientôt la rentrée et que j’ai envie de trucs doudous).

C’est l’histoire d’un prince, riche, égoïste et arrogant, qu’une fée transforme en monstre et condamne à rester sous cette forme jusqu’à ce qu’il tombe amoureux et soit aimé en retour, et ce avant que le dernier pétale de la rose qu’elle lui donne ne soit tombé.

C’est l’histoire de Belle, une jeune fille qui porte bien son nom, mais qui en plus de sa beauté est pourvue de toutes les autres qualités : l’intelligence, la douceur, la gentillesse. Elle est courtisée par Gaston, très beau mais idiot, qu’elle refuse d’épouser. Elle vit seule avec son père, un marchand, avec qui elle a un lien très fort. 

Au retour d’un voyage, le marchand s’égare dans la forêt enneigée (alors qu’on est en été) et pénètre dans un château étrange, où on lui sert à manger mais dont il ne voit pas le maître. En partant, il cueille pour Belle, qui lui avait demandé de lui en rapporter une, une rose dans le jardin. Le propriétaire apparaît alors : c’est le monstre qui le condamne à mourir. Mais Belle, qui a réussi à trouver le château, décide de prendre la place de son père…

Tout est beau, tout est enchanteur dans ce film : les costumes, les décors, les lumières, les chansons… On y retrouve à la fois ce qui fait le charme du dessin animé, une grande tendresse et des personnages-objets attachants, et l’inquiétante étrangeté du film de Cocteau, en moins sombre évidemment, on reste dans l’univers Disney et la morale habituellement retenue, celle qu’il faut voir avec le cœur et dépasser les apparences, occulte l’interprétation psychanalytique (l’aspect animal et sauvage de la sexualité masculine dompté par la douceur féminine).

Et puis quel personnage féminin : belle, intelligente, indépendante et libre, pleine de grâce, elle n’a peur de rien, tient tête au mâle monstrueux, et on peut la dire en avance sur son temps. Bref, un personnage qui semble écrit pour Emma Watson !

C’est le genre de films que même adulte on regarde avec des étoiles dans les yeux, se laissant emporter par la féerie, et franchement, ça fait un bien fou !

Beauty and the Beast / La Belle et la bête
Bill CONDON
2017

Sleeping Beauty (La Belle au bois dormant), de Clyde Geronimi

Si on fait un rêve plusieurs fois, on dit qu’il se réalise un jour… Et j’en ai rêvé au moins cent fois…

La Belle au bois dormant est le premier film que j’ai vu au cinéma. Si je me base sur les dates de ressortie, je devais avoir trois ans, et je ne suis pas absolument certaine que je l’avais revu depuis. Mais ce conte a eu une influence marquante sur moi et ma manière de voir le monde : la preuve, c’est que mon premier roman en est une sorte de réécriture. Je me suis dit que j’allais revoir ce dessin animé qui est quand même à l’origine de tout.

Il était une fois dans un lointain pays un roi et une reine qui rêvent d’avoir un enfant. Un jour, enfin, ce rêve se réalise, et ils prénomment leur petite fille Aurore. Ils organisent une fête à laquelle sont conviés tous les habitants du royaume, ainsi que le roi voisin avec son jeune fils, le prince Philippe, auquel Aurore est promise en mariage. Sont également présentes les marraines d’Aurore, trois bonnes fées qui lui offrent des dons.

Mais alors que le troisième s’apprête à offrir le sien, une invitée surprise arrive : Maléfique qui, vexée de ne pas avoir été invitée, se venge de cet affront en jetant un mauvais sort à la petite princesse : en grandissant, elle deviendra gracieuse et belle, aura pour elle l’amour et la dévotion de chacun, mais avant le jour de ses seize ans se piquera le doigt à un fuseau et en mourra.

Heureusement, la troisième fée parvient à adoucir le mauvais sort :  la princesse Aurore ne mourra pas mais tombera dans un profond sommeil d’où seul le baiser d’un prince pourra la tirer. Et pour garantir encore plus la sécurité de la jeune fille, les trois marraines décident de l’élever dans la forêt et de la garder avec elles jusqu’à ses seize ans révolus…

Féerique, ce film (complètement différent des versions de Perrault et Grimm et pas seulement parce qu’il supprime toute la dernière partie) était encore plus profondément gravé en moi que ce que je pensais (je sais maintenant d’où viennent certaines scènes et certains schémas que je croyais avoir inventés).

Les images sont d’une beauté absolue, le titre musical Once Upon a dream est un enchantement, et l’ensemble regorge de scènes extraordinaires, notamment celles avec les bonnes fées qui sont à croquer.

Mais ce qui est intéressant surtout, ici, c’est la figure du Prince Philippe, qui est quand même the best ; c’est d’ailleurs le premier des princes de Disney à être doté d’un nom et à avoir un vrai rôle : il est beau, il est romantique, et il est courageux, en somme c’est l’homme idéal, et si on ajoute à cela la question du destin qui fait qu’Aurore et lui sont destinés l’un à l’autre non seulement par la politique mais aussi par l’amour et les rêves… C’est beau ! C’est l’une des plus belles histoires d’amour qui soient

Evidemment, pour moi c’est un des plus beaux films de Disney pour des raisons sentimentales, mais même en faisant abstraction de son influence sur ma vie (comme quoi un film peut changer la vie de quelqu’un), il est sublime ! A voir et à revoir !

Sleeping Beauty (La Belle au bois dormant)
Clyde GERONIMI
Disney, 1959