Le vent et la forêt qui pleurent/Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille

L’automne est une des saisons les plus inspirantes pour les poètes. Et pourtant, lorsqu’il s’est agi pour moi de trouver un poème pour illustrer la carte dédiée à cette saison dans l’Oracle des poètes (dont je n’ai toujours pas reçu le prototype : j’ai vécu un Mercure rétrograde très premier degré, et outre que dès que je m’approchais d’un ordinateur au travail il faisait un caprice, mon oracle s’est perdu), j’ai eu du mal à trouver ce que je voulais : le message de la carte, c’est de se détacher de ce qui n’est plus utile et de laisser couler le flux de la vie, comme les arbres perdent leurs feuilles en automne pour que de nouvelles puissent pousser au printemps. Aucun poème que je trouvais ne m’appelait vraiment, sauf celui-là, mais j’avais un souci : je m’étais fixé comme règle qu’un poète n’apparaisse pas deux fois, et Apollinaire avait déjà la carte « Sensibilité » (et je tiens fermement à ce poème). J’ai donc dû changer la règle, et Apollinaire a deux cartes !

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé

Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé

Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille

Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

Et puisque ma carte de la semaine, c’est la carte « Musique », un petit coup de Vivaldi, ça fait toujours du bien !

Oeuvres érotiques complètes, de Guillaume Apollinaire

Je mets mon amour et ma fortune à vos pieds. Si je vous tenais dans mon lit, vingt fois de suite je vous prouverais ma passion. Que les onze mille vierges ou même les onze mille verges me châtient si je mens !

Aujourd’hui, retour aux fondamentaux avec un des grands classiques de la littérature licencieuse : les œuvres érotiques d’un des plus grands poètes de la langue française, Guillaume Apollinaire.

Classique, et pourtant, depuis 1934, date à laquelle sont parus pour la première fois les trois textes ensemble, accompagnés d’illustrations de Berthommé Saint-André, jamais ils n’avaient été réédités autrement que séparément. Cet oubli est réparé, puisque les éditions de La Musardine proposent une nouvelle édition de ces écrits et de leurs fort suggestives illustrations.

Cette édition, établie et présentée par Alexandre Dupouy, aura tout à fait sa place dans les rayons des bibliothèques universitaires, car il ne s’agit pas seulement ici de donner accès à une œuvre érotique, mais aussi de la contextualiser et de la comprendre.

L’introduction est à cet égard particulièrement intéressante et éclairante, notamment grâce à de nombreux extraits de correspondances et moult références biographiques et historiques. Chaque texte est ensuite pourvu d’une notice particulière permettant d’en saisir les enjeux.

Le premier récit, les Onze mille vergesest sans doute le plus connu et le plus édité à droite ou à gauche. C’est une sorte de récit picaresque mettant en scène le prince Vibescu et une ribambelle de personnages aux noms très évocateurs. Très sadienne, l’histoire propose un éventail à peu près complet de toutes les pratiques sexuelles possibles et imaginables, même les plus repoussantes (pour moi !) : sadisme et masochisme, ondinisme et coprophilie (là j’avoue, je bloque), onanisme, saphisme, vampirisme, j’en passe et des meilleures*. Le burlesque domine, mais aussi une grande violence, et j’aurais envie de dire tout de même « âmes sensibles s’abstenir« .

Le second, Les exploits d’un jeune Don Juan (qui n’est pas complètement d’Apollinaire) est également assez souvent édité, et je le trouve personnellement plus intéressant : il s’agit d’un récit rétrospectif initiatique à la première personne où le narrateur raconte son apprentissage de la sexualité et du corps féminin, avec un art consommé de la description évocatrice. Beaucoup plus subtil et écrit que le précédent, il pourra néanmoins mettre mal à l’aise par certains aspects.

Enfin, la poésie : autant je connaissais un peu les deux récits, autant je n’avais jamais lu ces poèmes et je dois dire que c’est ce qui m’a le plus plu : Apollinaire fait preuve d’une grande fantaisie langagière dans ce recueil où il manie avec brio les métaphores et les néologismes, et montre une vraie jouissance de l’écriture, quelque chose d’à la fois dionysiaque et baudelairien, n’hésitant pas par endroit à subtiliser un vers célèbre à Hugo ou à La Fontaine pour lui faire dire autre chose, et là c’est du grand art.

Alors, clairement, c’est une édition nécessaire, et elle satisfera les curieux qui ont envie de découvrir un autre Apollinaire que celui qu’on étudie en classe, tout en éclairant de manière nouvelle ses poèmes les plus connus : on découvre ici un poète traversé par la violence et l’envie de choquer et cette part sombre est assez fascinante.

Un texte à savourer littérairement et culturellement, mais dont l’efficacité érotique est loin d’être certaine, surtout sur un imaginaire féminin

Œuvres érotiques complètes (lien affilié)
Guillaume APOLLINAIRE
La Musardine, 2013