Saint Laurent, de Bertrand Bonello

Les Français, vous êtes tellement mélodramatiques !

Les nominations pour les Césars m’ont rappelé que je n’avais toujours pas vu ce film sur Yves Saint Laurent, ce qui, nous sommes bien d’accord, est une honte absolue. Mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais, et je lui ai donc consacré ma soirée de vendredi, en essayant autant que faire se pouvait de ne pas le comparer avec le biopic de Jalil Lespert, objectif qui s’est au final avéré totalement irréalisable. Mais j’anticipe.

Dans ce film, Bonello choisit de se consacrer à la période 1967-1976, une décennie de liberté, riche d’un point de vue créatif et mouvementée d’un point de vue personnel, avec notamment la rencontre de Jacques de Basher.

Le grand mérite de ce film est d’accorder une vraie place à la mode, qui est plus ici qu’un simple contexte : on voit le travail des petites mains, le travail des toiles, les larmes, la sueur, la minutie nécessaires pour donner vie aux idées du Maître, que l’on voit en plein travail de création à de nombreuses reprises.

Le film a beaucoup de style, et les scènes de défilé (et notamment la dernière) sont des moments de grâce, qui mettent en évidence le génie d’Yves Saint Laurent, authentique artiste comme il en existe peu, et incarné par un Garspard Ulliel impeccable.

Reste que je suis perplexe sur l’ensemble du film, qui jouit d’une critique meilleure que celui de Lespert, alors que personnellement je le trouve beaucoup moins bon : j’ai eu l’impression d’une juxtaposition de scènes et non d’un film construit sur un fil directeur.

Certains moments se répondent, se font écho et font sens, mais d’autres semblent là simplement pour passer le temps car elles ne construisent rien, alors même que dans l’ensemble le film est très elliptique et très allusif : ce n’est en tout cas pas un film qui me semble accessible à qui ne connaîtrait rien de la vie de Saint Laurent, car des clés extérieures sont indispensables pour comprendre certaines scènes, certaines références, certains symboles.

C’est toujours le cas avec ce type de film, mais ici, l’effet me semble amplifié. J’ai envie de dire que c’est un film pour initiés.

En outre, je trouve le traitement du personnage même de Saint Laurent moins intéressant que chez Lespert qui en faisait une véritable figure du génie torturé et insistait sur sa part d’ombre. Je trouve cet aspect moins bien traité par Bonello, dont le film, beaucoup moins décadent et sulfureux, gomme un peu la violence autodestructrice du personnage.

Et cela tient à mon avis au fait que Bonello a totalement sacrifié le personnage de Bergé, et qu’il ne creuse pas sa relation avec Saint Laurent. Il ne fait, finalement, que passer, et je trouve de plus que Jérémie Rénier est peu inspiré dans le rôle (surtout par rapport à Guillaume Gallienne) ; du reste, même si j’ai trouvé Gaspard Ulliel excellent dans l’illusion, il est moins excellent que Niney.

Donc, au final, j’ai trouvé ce film assez froid et distancié, un film qui manque de décadence, de sexe, de chair, de passion, de violence, qui ne creuse pas assez ses personnages et souffre d’une narration elliptique. Une déception pour moi, d’autant qu’on me l’avait vendu comme meilleur que le film de Jalil Lespert que j’avais trouvé magnifique, et que j’en attendais donc beaucoup.

Pour moi, j’ai choisi mon Saint Laurent, et ce n’est pas celui-là !

Saint Laurent
Bertrand BONELLO
2014