La Mauvaise Education, Pedro Almodóvar

Même si j’en ai finalement assez peu parlé ici, Pedro Almodóvar est un de mes cinéastes préférés : son univers bien particulier me touche beaucoup, et m’a souvent donné matière à réflexions. Quant  ce film, je l’avais vu à sa sortie en 2004, au temps donc où je pouvais encore voir les films en salle sans récolter une migraine au passage, et il m’avait quelque peu déstabilisée, c’est le moins que l’on puisse dire.

Madrid, 1980. Devenu un grand réalisateur, Enrique reçoit un jour la visite d’Ignacio, qui se fait désormais appeler Ángel, et qu’il n’a pas vu depuis le collège. Devenu comédien, Ignacio/Àngel confie à Enrique, avec qui il a connu ses premiers émois amoureux, une nouvelle, « La Visite », nouvelle partiellement autobiographique qui raconte leurs années de pensionnat, sous la coupe du père Manolo, un professeur de littérature et prêtre pédophile…

Le sujet est grave tout autant qu’essentiel, et le film ne peut que susciter des sentiments violents. Magistralement construit et filmé, il alterne entre plusieurs temporalités, mais aussi entre fiction et réel, et l’ensemble fonctionne finalement comme un véritable thriller — et une gigantesque mise en abyme, même s’il n’est pas autobiographique.

On retrouve, bien sûr, les thèmes obsédants du cinéaste espagnol : le désir passionnel, l’homosexualité, le travestissement et la transidentité ; mais ici, c’est un film d’hommes, dont les femmes sont totalement exclues, car ce qui se joue est une violence autre, celle que des prêtres exercent sur des enfants. C’est terrifiant, mais nécessaire. Quant à Garcia Bernal, il est éblouissant d’ambiguïté.

A voir absolument si ce n’est pas déjà fait, ou à revoir !

La Mauvaise Education
Pedro ALMODÓVAR
2004

The Young Pope, de Paolo Sorrentino

I love myself more than my neighbor, more than God. I believe only in myself.

La série événement de la fin d’année 2016. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais je l’ai regardée pour de basses raisons de mancrushing, Jude Law avec ou sans soutane me donnant de furieuses envies de luxure.

Le pitch ? Une révolution au Vatican : l’élection d’un « jeune » Pape, et du premier Pape américain de l’histoire, en la personne de Lenny Belardo, un orphelin qui prend le nom peu engageant de Pie XIII, et dont les lubies pourraient faire s’effondrer l’Eglise.

Alors, évidemment, c’est sublimement filmé, magnifiquement interprété, très esthétique, parfaitement scénarisé, oscillant entre des moments de grâce pure et de burlesque, mâtiné d’un côté House of cards au Vatican.

L’ouverture est captivante, et intrigante, avec Lenny sortant de sous une montagne de bébés, et prononçant un discours absolument sublime face aux fidèles rassemblés place saint-Pierre : au discours habituels sur l’amour, il ajoute un plaidoyer pro-masturbation, pro-avortement, pro-mariage gay, pro-mariage des prêtres, pro-droit à choisir sa mort, pro-sexe pour le plaisir, pro-divorce, pro-PMA, en somme, un discours pour le bonheur et la liberté.

Les cardinaux en tombent à la renverse. On se dit alors que ce Pape-là est plutôt Rock n’roll. Mais. Si ce Pape fume comme un pompier et boit du Cherry Coke au petit déjeuner, c’est bien tout ce qu’il a de rock. Parce que ce discours, ce n’était qu’un rêve.

Voilà alors le spectateur perdu, en tout cas moi. Au milieu d’un Vatican corrompu, pourri jusqu’à la moelle par la politique et l‘argent (le moindre tapis vaut assez cher pour nourrir toute l’Afrique) et à la grandiloquence ritualisée assez ridicule (Louis XIV à côté c’était la vie simple), Lenny détonne. Mais.

Ne vaut-il pas mieux un politicien corrompu comme Voiello (corrompu mais qui a un bon fond, en fait) qu’un psychopathe illuminé, tel qu’apparaît Pie XIII dans la majeure partie de la saison, illuminé intransigeant sur l’infaillibilité pontificale, la négation du libre-arbitre et de manière générale de toutes les libertés ? Il a beau être jeune, il semble arrivé tout droit du Moyen-Age dans une DeLorean. Torquemada ne l’aurait pas renié.

A l’épisode 1 j’avais envie de lui arracher sa soutane avec les dents. A l’épisode 6 j’avais envie de l’émasculer à la cuillère à entremets dans les plus grandes souffrances. Après l’épisode 10, je ne sais plus. Parce que je crois que, finalement, je n’ai tout simplement pas compris le projet de Sorrentino.

Lenny est orphelin donc, et semble en vouloir à la terre entière, et se venger sur les autres de l’amour qu’il n’a pas reçu. L’hypothèse générale, qu’il émet et que Voiello répète, c’est que ceux qui entrent dans les ordres sont des handicapés du sentiment, qui ont tellement peur que l’amour les fasse souffrir qu’ils s’en préservent comme ils peuvent — et essaient d’en priver ceux qui sont plus courageux.

De plus, Lenny ne semble pas toujours si convaincu que ça de l’existence de Dieu, alors même que sur ses ordres (oui, il donne des ordres à Dieu) il accomplit des miracles. Mais à certains moments il est touché par la grâce et par l’amour.

Figure christique, il est aussi, tout à la fois, figure antéchristique. Veut-il détruire l’Eglise de l’intérieur ? Montrer qu’elle est obsolète, rétrograde, à côté de la plaque ? Ses agissements ne sont-ils alors qu’une sorte d’argumentation par l’absurde ? Autre chose d’encore plus complexe ?

Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je suis perdue.

En tout cas, une chose est sûre : la série ne donne pas envie de (re)devenir catholique, et elle s’est révélée assez dure émotionnellement pour moi qui ai un gros passif avec cette religion. Je crois que de manière générale, la série abordant des questions de l’ordre de l’intime, elle ne peut que remuer.

Alors peut-être que c’est simplement ça, le projet de Sorrentino : nous interroger sur nos croyances les plus profondes ?

The Young Pope – saison 1
Paolo SORRENTINO
2016