La vie est un poème

L’autre jour, l’idée de « poème tutélaire » est venue à moi alors que j’écrivais. Je n’y avais jamais pensé mais cela me semble bien sûr une évidence. Nous avons sans doute tous notre poème. Pas seulement celui qui nous touche et nous fait vibrer, ça nous en avons des centaines. Non, celui parle de nous, celui qui nous guide et nous raconte les secrets de la vie.

Celui grâce auquel nous habitons poétiquement le monde. Et peut-être que, parfois, la mission de toute une vie est de le trouver. Peut-être que d’autres fois, il nous est donné dès le départ. Peut-être aussi qu’il change, à mesure que nous avançons sur notre route.

Le mien, je l’ai déjà raconté, m’a été donné très jeune : c’est « Correspondances » de Baudelaire. Parce que la forêt de symboles (et oui, je crois que chaque jour je regarde le monde comme ça et j’écoute ses confuses paroles pour y mettre de l’ordre), parce que les sens.

Mais, de plus en plus, « Soleil et chair » de Rimbaud vient se faire une place. Le Monde vibrera comme une immense lyre / Dans le frémissement d’un immense baiser ! / – Le Monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser. Peut-être que j’ai deux poèmes tutélaires ?

Et vous, quel est votre poème ?

Ta part de merveilleux

Dans le livre dont je vous parlais hier, Voler comme un artiste(et dans celui dont je vous parlerai demain il en parle aussi) Austin Kleon émet cette idée magnifique qu’être artiste, c’est s’émerveiller et partager avec les autres ce qui nous a émerveillé afin de les é(mer)veiller à leur tour.

Et oui, je crois que c’est ça que je cherche : partager, rendre compte de ce qui me touche, de ce qui m’émerveille, de ce qui me fait vibrer, de ce qui m’inspire, de ce qui me donne de la joie.

C’est ce que j’ai écrit dans mes intentions pour la nouvelle lune en Cancer et le solstice d’été. Les énergies sont bonnes pour ça.

C’est d’ailleurs une famille de mots que j’utilise beaucoup : « merveilleux », « merveille », « émerveiller », « émerveillement » et même, que mon correcteur d’orthographe s’obstine à souligner, « émerveillant ». Du latin mirabilia, choses étonnantes. Mais j’y entend aussi « éveiller » : ouvrir les yeux. Et magie, un peu…

Et c’est ça aussi, habiter poétiquement le monde, c’est le contempler, le savourer, et s’étonner, être ravi de tout, comme un enfant — c’est cultiver en nous cette attitude d’enfance de tout regarder avec des yeux curieux. De profiter partout de ce qui est beau et s’en sentir responsable (même et surtout quand ça va mal). Et le partager. Parce que c’est ce qui nous fait vibrer haut, et que c’est plus important que tout en ce moment. Le monde a soif d’amour…

Et je crois que c’est ça, ma mission de vie (enfin non, je ne crois pas, je sais, et depuis toujours). Et c’est ça, le cœur de mon dernier projet (que j’ai un peu resserré). Chaque jour, s’émerveiller. Et éveiller. Sur la délicatesse d’une fleur se découpant sur une barrière bleue, sur la fragilité d’un coquillage, sur le chant des oiseaux…

Alors je vais faire ça, comme dans le poème de René Char, « Commune présence » : Hâte-toi de transmettre / Ta part de merveilleux !

 

Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise…

Mon dernier projet en date (et qui a beaucoup de bras, on dirait Shiva) implique beaucoup de poésie. Il est question, comme toujours, d’habiter poétiquement le monde.

Enfin je n’en dis pas plus pour le moment, mais à cette occasion, je suis retombée sur ce poème d’Anna de Noailles, « la vie profonde », et… c’est exactement ça. Mon projet, je veux dire. Enfin, pas complètement, vous verrez quand ça sera prêt. En attendant je partage avec vous le poème, au cas où vous ne le connaîtriez pas ou simplement pour le plaisir de le relire !

La vie profonde

Être dans la nature ainsi qu’un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l’orage,
La sève universelle affluer dans ses mains.

Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l’espace.

Sentir, dans son cœur vif, l’air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ;
– S’élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l’ombre qui descend.

Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise.

Anna de Noailles, La Vie Profonde

Un soupçon de magie

Ceci est une pivoine. Comme j’en ai photographié des centaines de fois. Où est la magie, alors, me direz-vous ?

Je vais vous raconter l’histoire. Il se trouve que, donc, j’aime d’amour les pivoines. Cette fleur m’émerveille et une de mes plus grandes joies du printemps est d’en acheter des bouquets, ou d’en rapporter des brassées entières de chez mes parents. De cette couleur-là, exactement. Ce rose soutenu (même si j’aime aussi les rouges).

Donc cette année j’étais fort triste de voir passer la saison des pivoines sans bouquet. Ne pas en commander était vraiment un sacrifice.

Dans le jardin de la résidence, il y a un petit arbuste de pivoines roses, beaucoup plus précoce et qui m’émerveille aussi.

Mais dans le jardin de la résidence, il n’y a pas de massif de pivoines herbacées. Non, il n’y a pas. Je le saurais, depuis le temps.

Jusqu’à ce matin. Il faut savoir que le jardin de la résidence, c’est moi qui en profite le plus puisqu’il est juste sous mon balcon. Et qu’en ce moment, je passe mon temps à le regarder, ce jardin.

Et là, ce matin, je regarde dehors et je tombe sur tout un massif de pivoines herbacées, juste sous mon nez. Je vous jure, elles n’étaient pas là hier. Et puis, comment sont-elles arrivées là ? Personne ne s’en occupe plus, de ce jardin, et je crois que oui, je suis la seule à l’aimer depuis que le petit papy qui habitait l’appartement avant moi, et qui en prenait soin, est mort.

Je veux dire : les autres l’aiment, sans doute, ça leur fait plaisir en rentrant le soir qu’il soit là, mais personne n’en profite comme moi (d’ailleurs, je suis la seule à profiter vraiment de mon balcon et à l’avoir aménagé comme un véritable espace de vie).

Donc vu le temps que je passe sur mon balcon à m’occuper de mes plantation, à regarder les fleurs, à faire l’inventaire (des tulipes, des jonquilles, et cette année j’ai même le plaisir de voir la résurrection des arums, qui ne poussaient plus sous le sureau mais à qui l’élagage salutaire de ce dernier a permis de renaître), à parler aux oiseaux, je les aurais vues, quand même, ces pivoines (d’autant qu’il n’y en a pas juste un pied).

Je ne vois strictement aucune explication rationnelle à cette histoire. Déjà que, en temps normal, ça n’est pas l’explication que je privilégie, l’explication rationnelle, là je suis très perplexe, d’autant que cette nuit j’ai fait des rêves bizarres ou je faisais de la magie et ce matin, pouf !

Où alors c’est le fantôme du petit papy qui était triste de me voir triste et qui est venu me planter des pivoines… Bien sûr, si on veut absolument trouver une explication rationnelle on va probablement en trouver une.

Mais en ai-je envie ? Vous me connaissez : j’habite poétiquement le monde, donc non, je n’ai pas besoin d’une explication rationnelle. Au contraire, me dire que c’est un cadeau de l’univers, qui sait combien j’aime les pivoines, me donne une joie profonde, et ça suffit !

Dans tous les cas, c’est de la magie !

Ecouter, contempler, s’émerveiller, de Frederico Daīnin Jōkō Procopio et alii : l’âme du monde

Il est un battement qui traverse l’univers.
Il palpite des formes et des couleurs que les Hommes perçoivent comme une Présence plus grande que tout ce que nous pouvons entendre, voir et toucher. Depuis que nous habitons consciemment le monde, nous l’entendons ce battement, et nous l’avons veillé, cultivé, comme un navigant veille la flamme de sa lampe en pleine tempête en mer. C’est le rythme par lequel le Vivant se manifeste. 

Lorsque je suis tombée par hasard sur ce joli livre, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un livre de photographies, avec des clichés de lieux émerveillants. Pas du tout, mais je l’ai pris quand même, et il faisait joli dans ma bibliothèque jusqu’à ce que les événements actuels me donnent l’occasion (et c’est vraiment un ouvrage parfait pour les circonstances) de le savourer pleinement.

Dans cet ouvrage en forme d’abécédaire, des « sages » de tous horizons, aux croyances et aux pratiques totalement différentes, s’expriment sur tout ce qui fait le battement du monde : l’amour bien sûr en premier lieu, qui a son entrée mais qui est de toute façon partout, mais aussi, entre autres, la Beauté, la Confiance, l’Émerveillement, l’Espoir, le Mystère, le Rêve, le Silence, la Solitude, la Vie…

Contemplatif, poétique, méditatif, inspirant, les adjectifs ne manquent pas pour qualifier cet ouvrage qui nous invite à pénétrer l’âme du monde, à nous émerveiller de ce qui nous entoure en nous donnant les clés pour le voir autrement, l’habiter d’une nouvelle manière (poétiquement ?).

Des leçons pour vivre pleinement, dont j’ai récolté une multitude de citations à méditer et développer, et certains articles m’ont vraiment beaucoup apporté en questionnements pour avancer sur mon chemin. Un ouvrage spirituel donc, mais au sens large, loin des doctrines religieuses strictes (même si je l’avoue j’ai été moins inspirée par les textes émanant de sages catholiques que par d’autres), car il donne la paroles à des voix très variées (et des voix féminines).

Un parfait livre de table basse, parce qu’il est fait non pour être lu d’une traite, mais pour être lentement et patiemment savouré.

Ecouter, Contempler, S’émerveiller. Paroles de sages (lien affilié)
Sous la direction de Frederico Daīnin Jōkō Procopio
Hachette, 2019

Responsable de la beauté du monde

Dans Mémoires d’Hadrien, que je suis en train de relire et dont je vous reparlerai donc incessamment sous peu, il y a de nombreux passages qui me frappent et me poussent à la méditation. Mais un en particulier me hante depuis que je l’ai lu :

A chacun sa pente : à chacun aussi son but, son ambition si l’on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal. Le mien était enfermé dans ce mot de beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences des sens et des yeux. Je me sentais responsable de la beauté du monde. 

Cette pente, cette ambition, on peut aussi l’appeler mission de vie, et si ces mots résonnent autant en moi c’est que, moi aussi je me sens responsable de la beauté du monde. Particulièrement en ce moment, qui se prête assez peu en apparence à habiter poétiquement ce monde, et où, pourtant, l’Univers me susurre à l’oreille qu’au contraire, c’est maintenant que c’est le plus essentiel : partager et cultiver ce qui est beau et apporte du réconfort !

Les Petits Princes

Je vous ai sans doute déjà parlé de cette manie (ou non d’ailleurs) : collectionner les exemplaires du Petit Prince

J’en achète au moins un exemplaire à chacun de mes voyages.

C’est une manie que je partage avec beaucoup de gens d’ailleurs : c’est le livre qui a été le plus traduit, et où qu’on aille, les librairies en ont des stocks. A Milan, j’ai carrément dû me restreindre (avec l’idée que de toute façon, je retournerai bien en Italie un jour), car la librairie que j’ai choisie le proposait non seulement en italien (dans plusieurs éditions différentes), mais aussi dans plusieurs dialectes régionaux et en latin.

Mais le fait que ce soit une collection pas si compliquée n’est pas la seule raison.

Le fait est que lorsqu’il est question de citer un livre qui a changé ma vie, c’est lui que je cite. Pas seulement pour une question de vision du monde : c’est plus exactement le premier texte que j’ai vraiment étudié, et c’est grâce à lui que j’ai découvert la puissance évocatrice de la littérature (avant j’aimais lire, mais pour les histoires racontées, pas pour le sens et la vision du monde). Et que c’était ce que je voulais faire de ma vie. C’est après cette découverte d’ailleurs que je me suis mise à écrire.

Mais j’ai percuté l’autre jour qu’il y avait autre chose. Car qui est le petit prince ? Un habitant d’une autre planète, un extra-terrestre tombé sur une terre où il n’a pas sa place parce que lui voudrait l’habiter poétiquement là où tout le monde cherche à l’habiter sérieusement, il est souvent perdu dans ses rêves et ses pensées, et il tient pour essentiel ce que les autres considèrent futile,  et parfois, il se fâche parce qu’il n’est pas compris, dans ce monde où il est arrivé :

Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : « Ma fleur est là quelque part… » Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient ! Et ce n’est pas important ça ! 

Alors voilà : le petit prince est un être hypersensible exilé dans un monde qui ne le comprend pas et qu’il ne comprend pas, un monde où les gens voient un chapeau là où il y a un éléphant dans un boa, où les roses ne sont pas importantes et où on n’apprivoise pas les renards.

Bien sûr, c’est lui qui a raison, mais que peut-on y faire ?

Et je me demande si le vrai sujet de ce petit roman, ce n’est pas les zèbres