Fille du destin, d’Isabel Allende

La mission d’aimer

Bien des années plus tard, devant une tête humaine conservée dans un flacon de genièvre, Eliza se souviendrait de cette première rencontre avec Joaquin Andieta et sentirait à nouveau cette insupportable angoisse. Elle se demanderait cent et cent fois tout au long de son parcours si elle aurait pu fuir cette passion dévorante qui allait briser sa vie, si durant ces brefs instants elle aurait pu faire demi-tour et se sauver, mais, chaque fois qu’elle avait formulé cette question, elle était arrivée à la conclusion que son destin était tracé dès l’origine des temps. Et quand le sage Tao Chi’en l’introduisit dans la poétique possibilité de la réincarnation, elle fut convaincue que dans chacune de ses vies le même drame se répétait : si elle était née mille fois auparavant et devait naître mille autres fois dans le futur, elle viendrait toujours au monde avec la mission d’aimer cet homme de la même façon. Pour elle, il n’y avait pas d’échappatoire.

Il y a quelque temps, j’avais eu un véritable coup de cœur pour Portrait Sépia d’Isabel Allende. Dans ce roman, j’avais été particulièrement fascinée par le personnage d’Eliza, ce qui tombait bien, car j’ai appris peu de temps après que l’histoire de cette femme, l’auteure l’avait écrite aussi. De fait, la logique voudrait que l’on lise Fille du destin avant Portrait Sépia, mais comme je ne suis pas une fille logique, j’ai fait l’inverse. Et ce n’est pas grave du tout !

Le 15 mars 1832, un bébé, une petite fille, est abandonnée dans le port de Valparaiso. Elle est recueilli par Jeremy Sommers et sa sœur Rose, des Anglais. Ils l’appellent Eliza, comme leur mère, et lui donnent leur nom. L’enfant grandit, les Sommers lui assurent une éducation et un avenir. Mais voilà, à l’âge de 16 ans, Eliza tombe passionnément amoureuse de Joaquin Andieta. Lorsque la folie de la ruée vers l’or s’empare du Chili, son bel amour, assoiffé de richesse, part pour la Californie. Et Eliza, enceinte, obligée de le cacher, ne tarde pas à tout quitter pour le retrouver. Heureusement, sur son chemin, Tao Chi’en veille…

Portrait d’une femme consumée par la passion

Quel magnifique portrait de femme que celui-là, une femme guidée par l’amour, qui n’hésite pas à tout sacrifier pour celui qu’elle chérit de toute son âme, même si ce n’est pas le bon d’ailleurs. Ce roman est d’une richesse extraordinaire, tissé de réflexions sur le statut des femmes, l’autonomie, l’éducation, la passion amoureuse et le karma, permettant d’en savoir plus sur l’histoire et la culture du Chili, mais aussi de la Chine et des Etats-Unis en train de se développer.

J’ai retrouvé également ce que j’avais déjà apprécié dans Portrait Sépia, à savoir la consistance des personnages secondaires : chaque personne qui croise la route d’Eliza a droit à quelques pages qui retracent son chemin de vie, ce qui lui donne une réelle épaisseur et accroît la richesse du roman.

Bref, j’ai vraiment adoré cette lecture, je me suis reconnue, ça m’a émue, ça m’a parlé, ça m’a fait réfléchir et comprendre… je recommande sans aucune restriction !

Fille du destin (lien affilié)
Isabel ALLENDE
Livre de Poche

 

Le Cercle du Karma, de Kunzang Choden

La dette karmique

Tu me connais. Les hommes, le sexe, je ne veux même plus y penser. J’ai eu assez de souffrances pour plusieurs vies, à cause d’eux.

Je ne sais plus du tout par quel biais le destin a fait parvenir ce roman jusqu’à ma PAL mais une chose est sûre, c’était un jour de karma positif, parce que j’ai vraiment adoré, et il s’agit à nouveau d’un gros gros coup de cœur (je suis bénie en ce moment, je ne lis que des romans qui me transportent, d’autres sont à venir). Je m’excuse à l’avance pour les augmentations exponentielles de PAL dont je pourrais être responsable.

Lorsque l’histoire commence, Tsomo, l’héroïne, a soixante-dix ans et estime que les hommes (au sens d’être humain de sexe masculin) lui ont apporté assez de souffrances pour plusieurs vies. Le lecteur (plus exactement la lectrice, qui pourrait dire la même chose même si elle est loin d’avoir cet âge) est intrigué : que s’est-il donc passé dans sa vie (présente) pour qu’elle en arrive à cet amer constat ?

Cette vie, c’est justement l’objet du récit qui va suivre.

Tsomo vient au monde dans un lieu et un temps où être une fille n’offre pas un horizon de possibilités très stimulant, et pourtant, à sa naissance, l’astrologue consulté prédit qu’elle ne tiendra pas en place et voyagera beaucoup. Il affirme aussi qu’elle n’a pas accumulé beaucoup de mérites dans ses incarnations précédentes, et qu’elle aura une vie de souffrance. Et c’est bien ce qui va se réaliser pour la pauvre Tsomo, qui n’aura de cesse d’aller de désillusion en déception.

Et pourtant elle avance, traçant le chemin de son existence et épurant son karma…

L’apprentissage par les épreuves

Quelle merveille ! Tout est passionnant dans ce roman !

D’abord, il est très enrichissant d’un point de vue culturel : il faut dire qu’on n’a guère l’habitude de lire des romans bhoutanais, et on en apprend beaucoup sur les croyances, les modes de vie, le bouddhisme, les divinités, le karma, autant de sujets qui m’intéressent beaucoup.

D’un point de vue plus personnel, c’est un très beau et original roman d’apprentissage, une quête initiatique qui permet de se poser beaucoup de questions et d’apprendre sur soi. Tsomo est « en quête d’elle-même ». On apprend surtout des épreuves et du malheur, dit le Bouddha. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort« , dit le philosophe (Nietzsche en l’occurrence). Et le courage de Tsomo est admirable, car malgré les épreuves, elle reste forte, ne tombe jamais dans le désespoir, et le roman n’est jamais larmoyant, bien au contraire.

Bref, une très belle leçon de vie, un roman passionnant qui fait voir du pays, une plongée dans une culture mal connue… que demander de plus ?

Le cercle du karma (lien affilié)
Kunzang CHODEN
traduit par Sophie Bastide-Foltz
Actes Sud