L’Histoire de ma machine à écrire, de Paul Auster et Sam Messer

Jusqu’à cette époque, je n’avais pas éprouvé pour ma machine à écrire un attachement particulier. C’était un simple outil qui me permettait de faire mon travail, mais dès lors qu’elle était devenue une espèce en danger, l’un des derniers artefacts survivants de l’homo scriptorus du XXe siècle, je me mis à nourrir pour elle une certaine affection. Bon gré, mal gré, je me rendais compte que nous avions le même passé. Avec le temps, je finis par comprendre que nous avions aussi le même avenir. 

Cet été, j’ai écrit L’Histoire de ma machine à écrire, avant de percuter que Paul Auster avait écrit un texte portant exactement le même titre, qui était dans ma liste depuis une éternité et que j’avais très bizarrement oublié. Evidemment, j’ai pensé que c’était un prétexte idéal pour enfin jeter un oeil à ce petit album.

En 1974, Paul Auster rentre en Amérique après son séjour en France. Mais, à l’arrivée, sa machine à écrire, une Hermes, est cassée. Il n’a pas trop les moyens d’en acheter une neuve, mais comme le destin veille, un de ses amis lui propose de lui vendre à un prix raisonnable une vieille Olympia portable dont il ne se sert pas.

Depuis, l’écrivain ne s’est pas séparé de cette machine, sur laquelle il a écrit tous ses livres, et qu’au fil du temps il s’est mis à considérer comme une véritable personne, notamment grâce à son ami Sam Messer, peintre, qui ne cesse de la dessiner et d’en faire le sujet de ses tableaux et à qui, vraisemblablement, elle confie des secrets…

Cet album est un magnifique objet, parfait exemple de collaboration entre deux artistes, un écrivain et un peintre.

D’un côté, Paul Auster nous conte l’histoire de la relation particulière qu’il entretien avec cette machine à écrire (histoire qu’il a écrite sur cette machine) : position de principe face à la modernité dont il se méfie, l’usage de cette machine mécanique aux temps du règne de l’ordinateur tout puissant a aussi quelque chose de l’ordre de la superstition et du symbolique, et il y a quelque chose de très poétique dans ces pages.

De l’autre, le travail de Sam Messer, peintre que je ne connaissais pas et c’est bien dommage : les tableaux sont absolument extraordinaires, et montrent une véritable fascination pour cet objet, peint d’une multitude de façons. Je n’ai pu m’empêcher de me dire que ces tableaux iraient parfaitement avec ma décoration, mais je crois que malheureusement, c’est hors budget pour le moment.

Reste que je ne peux que conseiller vivement à tous les amoureux de Paul Auster, amoureux d’objets, amoureux de l’écriture de se procurer cet album résolument réjouissant !

L’histoire de ma machine à écrire (lien affilié)
Paul AUSTER et Sam MESSER
Traduit de l’Américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 2003

L’histoire de ma machine à écrire

Depuis toujours, j’aime les machines à écrire. L’objet. Comme quoi, on ne se méfie jamais assez des cadeaux qu’on fait aux enfants, parfois on fait naître une vocation : lorsque j’étais petite, j’en avais une en plastique (aujourd’hui sans doute disparue) avec laquelle j’adorais jouer*. Je jouais à être écrivain et journaliste dans ma chambre salle de rédaction.

Plus tard, j’ai récupéré une vraie machine, comme celles que l’on avait au collège pour apprendre (enfin essayer : je manque totalement de coordination donc je n’ai jamais réussi) la dactylographie. C’était une Olivetti, je crois une lettera 32.

J’aimais beaucoup écrire avec, même si à cette époque j’avais découvert l’ordinateur et le traitement de texte avec un Atari. Mais j’aimais l’objet machine à écrire, et j’avais toujours dit que lorsque j’aurais la place dans mon appartement, je récupérerais cette machine.

Après 12 ans d’existence dans des appartements trop exigu, ce jour est enfin venu : dans mon nouvel appartement, j’ai tout de suite vu où je pourrais la mettre, et j’ai donc réclamé que mes parents entreprennent des recherches archéologiques dans leur grenier pour retrouver mon Olivetti, où elle était supposée se trouver puisque j’avais bien stipulé à chaque grand tri par le vide qu’il était hors de question de s’en débarrasser.

Làs : personne ne se souvient de l’avoir bazardée, mais les faits sont là : impossible de mettre la main sur l’objet. Peut-être s’est-elle lassée de m’attendre et est-elle partie. Peut-être est-elle encore là et je la retrouverai un jour. Je ne sais pas, mais toujours est-il que j’étais fort marrie, d’autant que j’avais déjà acheté le meuble pour l’accueillir.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je me suis mise en quête de mon fantasme ultime en matière de machine à écrire : une Underwood, dont je trouve le design magnifique, et qui est le comble du mythe. Me voilà donc à consulter frénétiquement les sites de vente d’occasion, un peu alarmée par les prix et/ou l’état pitoyable des modèles en vente.

Et puis elle est apparue : juste à côté de chez mes parents, à un prix dérisoire. Elle m’attendait : alors que les collectionneurs les recherchent, qu’elle est en excellent état et que le prix était attractif, elle était là depuis un certain temps et ne trouvait pas à être adoptée.

Je le répète : elle m’attendait, parce que le hasard (qui n’existe pas), ce coquin, a fait qu’elle appartenait à la belle-sœur de la meilleure amie de ma maman. Je sais donc d’où elle vient : elle avait été achetée par la maman de la dame, pour ses cours de dactylographie chez Pigier. Et maintenant, elle est à moi.

Je l’ai appelée Claire, parce que je suis une petite comique.

Il s’agit d’une Underwood Standard n°6-11, et le n° de série m’indique qu’elle a été fabriquée en 1930, la vieille dame ! Faulkner, Fitz, Hemingway en ont eu une similaire.

Evidemment, je n’écrirai pas mon prochain roman dessus. Mais. Lorsque j’aurai acheté un ruban (celui-là est cassé) et du papier, je m’amuserai probablement à retranscrire certains de mes textes dessus. Pour le côté vintage. Pour le bruit des touches. Pour le mythe — on sait combien j’y suis attachée, aux mythes.

*J’avais aussi une machine à coudre qui n’a pour sa part suscité aucune vocation, non plus que le mini-aspirateur et les multiples poupées : cette règle n’est donc pas universelle !

A la main, ou à la machine ?

Ma visite au musée des lettres et des manuscrits m’a plongée dans des abîmes de réflexions métaphysiques. Ceci dit, tout chez moi est prétexte à des réflexions métaphysiques, même l’achat d’une paire de chaussures. Mais enfin, errer au milieu des écrits de nos chers génies m’a amenée à cette question : vaut-il mieux écrire à la main, ou à la machine ? Que préfère l’inspiration pour s’épanouir ? Le stylo ou le clavier ? Je sais bien, il n’y a pas de règle, mais tout de même…

Evidemment, pendant longtemps, les écrivains n’avaient pas le choix : ils écrivaient à la main, d’où le terme de manuscrit.

Et puis est venue la machine à écrire, emblème littéraire par excellence. Le tchic-tchic des touches, l’encre dont on tâche ses doigts en changeant le ruban, la page qu’on insère… tout cela fait partie d’une certaine imagerie un peu romanesque de l’auteur à son bureau. Et presque uniquement là, car de fait, même les machines portatives étaient peu transportables.

Mais l’objet lui-même est un fantasme, et je rêve d’une vieille Remington posée sur une belle table, dans un coin du salon.

Enfin, l’ordinateur est arrivé, le portable et le netbook, les tablettes qui permettent de prendre des notes n’importe où. C’est bien pratique : plus besoin de refaire toute une page parce qu’on a changé un mot ou ajouté une dizaine de lignes. Les paragraphes peuvent être coupés et collés à un autre endroit. Les corrections sont plus faciles, plus rapides, on peut multiplier les sauvegardes et éviter l’angoisse de perdre le Précieux dans un incendie, une inondation ou un cambriolage.

Aujourd’hui, aucun écrivain n’oserait remettre à un éditeur un manuscrit qui serait réellement manu-script (ou alors, un écrivain très en vue à qui on passe tous ses caprices).

Et pourtant, ils sont nombreux à écrire encore à la main, le clavier ne leur parlant pas : Paul Auster, Didier Van Cauwelaert, Amélie Nothomb vantent chacun à leur manière la sensualité de la création manuscrite. Le toucher du papier, le scritch-scritch du stylo, l’odeur de l’encre peut-être.

Ce qui est formidable, au-delà de la beauté d’une écriture qui est l’une des choses qui nous sont les plus personnelles, c’est que le manuscrit garde la trace d’un texte qui se construit. Les différentes versions, les ratures, les corrections sont tellement signifiants, et tout cela se perd avec l’ordinateur.

Et moi, dans tout ça ? Comme d’habitude, je ne choisis pas mon camp. Souvent, la première version est faite à l’ordinateur, parce que j’ai la hantise de la perte et que j’ai besoin pour être tranquille que chaque texte soit enregistré sur mes deux ordinateurs, mon disque dur portable et cinq clés USB (je vous ai déjà dit que je suis une grande angoissée ?).

Mais je corrige à la main, et comme je corrige beaucoup (souvent chaque page tapuscrite est doublée d’une page de corrections à la main) cela donne un texte hybride, avec des collages, des flèches, des renvois, un code de couleurs compris de moi seule.

Et il y a mon carnet Moleskine. J’ai toujours eu la passion des petits carnets mais depuis que je me suis offert ce mythique petit livret en cuir noir, j’ai acquis le réflexe d’y noter mes pensées les plus diverses. Cela donne un objet étrange, à la fois journal intime, recueil de citations et couveuse pour bribes de textes en devenir.

Et il est vrai que j’aime beaucoup cette sensualité qu’il y a à coucher ses réflexions dans un objet que l’on peut avoir toujours sur soi et sortir à n’importe quel moment. Par contre, si je le perdais, ça serait un vrai drame…

Et vous alors ? A la main ou à la machine ?