Max et les poissons, de Sophie Adriansen

Est-ce qu’il y a des poissons juifs et d’autres pas juifs ? Nous, on est juifs. C’est pour ça qu’on a des étoiles cousues à nous habits. Papa et maman me répètent qu’être juif, ce n’est pas avoir fait quelque chose de mal. Mais je n’arrive pas à les croire.
J’ai l’impression que ce n’est pas bien, d’être juif maintenant !

Max a eu un prix d’excellence à l’école et, comme récompense, il a reçu un poisson, qu’il appelle Auguste. Max a une étoile jaune : lui la trouve plutôt jolie, mais les autres enfants à l’école se moquent de lui et le traitent de youpin. Mais là, ce sont les vacances, et Max est excité car il va bientôt avoir huit ans. Bientôt, dans quelques jours : le 16 juillet 1942.

Le 16 juillet 1942, c’est la rafle du Vel’ d’hiv, évidemment. Evidemment pour nous, les adultes, mais pas pour les enfants, auxquels ce petit roman s’adresse.

C’est Max qui parle, et la naïveté de l’enfance est parfaitement rendue : il regarde tout avec l’innocence et la grâce, l’étoile jaune, les Allemands, le couvre-feu, la carte d’alimentation. Tout cela est très subtil, avec le fil rouge du poisson qui, tout comme les magnifiques illustrations, apporte une touche de poésie, comme une respiration.

Et pourtant, cela reste triste. Profondément. Même si les faits sont euphémisés, ils n’en restent pas moins bien présents.

Evidemment, ce roman est indispensable. Parents, achetez-le à vos enfants. Profs de collège, faites-le lire en lecture cursive.

Max et les poissons (lien affilié)
Sophie ADRIANSEN // Illustrations de Tom HAUGOMAT
Nathan, 2015

 

La Femme de nos vies de Didier Van Cauwelaert

Dans le chaos du monde

On n’attend plus rien de la vie, et soudain tout recommence. Le temps s’arrête, le cœur s’emballe, la passion refait surface et l’urgence efface tout le reste. Il a suffi d’une alerte sur mon ordinateur pour que, dès le lendemain, je me retrouve à six mille kilomètres de chez moi, l’année de mes quatorze ans. L’année où je suis mort. L’année où je suis né.

Il y a un sujet que j’évite habituellement très soigneusement dans mes lectures : celui de la Shoah. Parce que je ne peux pas, parce que c’est anxiogène et que j’en fais des cauchemars affreux et des crises d’angoisse. Le pire c’est qu’en disant ça, je n’exagère même pas. Bref.

Mais voilà : lorsque le dernier roman de Didier Van Cauwelaert est sorti sur cette période, mon instinct m’a dit que sisisi, je pouvais avoir confiance, je n’y laisserais aucune plume émotionnelle. En plus, l’auteur est passé à La Grande Librairie, il n’en fallait pas plus pour achever de me convaincre, si besoin était.

Il faut dire que Didier Van Cauwelaert et moi, c’est une longue histoire de plus de vingt ans. La première fois j’étais en troisième, je furetais au CDI à la recherche de lectures à me mettre sous la dent, ce fut Vingt ans et des poussièresson premier roman (comme le hasard fait bien les choses, n’est-ce pas ?). Coup de foudre.

Dans la foulée j’ai lu à peu près tout ce qu’il avait publié, et à chaque nouvelle parution je me procurais religieusement l’ouvrage le jour de sa sortie, émerveillée à chaque fois, et ce pendant plusieurs années. Après, j’ai un peu ralenti car certains romans m’avaient un peu déçue, et là j’ai eu à nouveau le déclic (après avoir lu La Maison des Lumières au début du blog, cependant).

Notons également qu’une amie de ma maman a fait ses études de lettres avec lui à Nice, et qu’une de mes connaissances a fait sa thèse sur son œuvre. Voilà pour le lien entre cet auteur et moi. C’était important de le préciser !

Lorsque débute le roman, le professeur David Rosfeld, suite à une alerte internet, se rend au chevet d’une vieille dame qu’il n’a pas revue depuis de longues années ; c’est là qu’il fait la connaissance de Marianne, la petite fille de la mourante, qui ne connaît pas sa grand-mère mais lui voue une haine farouche, la prenant pour une meurtrière nazie, puisque c’est ce que l’histoire a retenu d’elle.

David va alors lui révéler la vraie histoire, celle qu’il est le seul à connaître.

En 1941, David s’appelle alors Jurgen Bolt. À 14 ans, il est garçon de ferme, proche des animaux et incompris des humains. Sa famille le livre aux mains des médecins nazis, moyennant une prime d’État. Interné à l’Hôpital d’Hadamar, il est destiné à être l’un des premiers individus envoyés dans les chambres à gaz. Mais avec lui se trouve David Rosfeld, jeune surdoué repéré pour être sauvé et envoyé dans une école pour surdoués. Mais David ne veut pas, et il lui confie son identité et meurt à sa place. Jurgen devenu David est alors pris en charge par Ilsa…

Chercher une trace d’amour

Encore une fois, la magie de conteur de Didier Van Cauwelaert opère. La situation de départ, propice à faire un roman poignant, lui permet aussi de faire naître une fable malgré tout pleine d’optimisme et d’humour, grâce au personnage de David/Jurgen, extrêmement attachant et sympathique.

Le romancier fait le choix d’une narration originale : il s’agit d’un récit rétrospectif à la première personne, mais qui a ceci de particulier qu’il s’adresse à Marianne, qui est là, à qui le narrateur pose des questions et parfois répond, mais dont on n’entend jamais les paroles : une sorte de dialogue à une seule voix, si l’on veut.

Une histoire forte, basée sur des faits réels, à travers laquelle on reconnaît les thèmes fort de l’auteur : l’identité, le double, la recherche d’une rédemption, la reconstruction de soi, et puis bien sûr, et surtout, l’amour, qui apparaît toujours comme essentiel, au centre de tout. Ce dont il s’agit ici, c’est de rechercher une trace d’amour dans le monde à travers ses pires horreurs, et elle existe, cette trace.

Un roman magnifique donc, à la fois léger et profond, tissé de symboles et de fantaisie, génialement écrit, une belle leçon de vie ! Un coup de cœur !

La Femme de nos vies (lien affilié)
Didier VAN CAUWELAERT
Albin Michel, 2013