Hystériques, de Sophie Adriansen : femmes et maternité

Noémie comprend qu’il s’agit de bijoux. La succession de mémé Claudine a été réglée cette année, ses quatre filles ont dû se partager ses effets. Pas une seconde Noémie n’envisage de pousser la porte et de surprendre les conspiratrices. Confusément, elle devine qu’on n’est pas en train de répartir les choses dans son dos. De conspiration il n’y a pas. Elle l’a constaté dans sa famille et ailleurs : les femmes s’ornent d’or et de diamants après avoir mis bas. Des galons. Des médailles.

Après Le Syndrome de la vitre étoilée et Linea Nigra (ainsi que la bande dessinée La Remplaçante), Sophie Adriansen se penche à nouveau sur les thèmes de la maternité, la grossesse, l’accouchement. Pile au moment où j’étais submergée par une nouvelle vague d’interrogations existentielles sur le sujet, forcément : une nouvelle synchronicité.

Le roman tresse l’histoire de trois sœurs et interroge leur rapport à la maternité et à leur utérus, cet organe auquel on tend à réduire les femmes en les traitant d’hystériques. Diane, l’aînée, a vécu un premier accouchement cauchemardesque dont elle a pu réparer le traumatisme grâce à une deuxième grossesse plus douce, et aspire désormais à trouver sa maison. Clémentine découvre un événement enfoui profondément dans son inconscient et qui change radicalement son rapport au monde. Noémie ne parvient pas à tomber enceinte.

Un roman qui interroge la maternité dans toutes ses dimensions, et qui m’a moi-même beaucoup interrogée, venant remuer beaucoup de choses (et notamment une colère assez vive), probablement nécessaires à remuer. Je me suis, fait assez rare pour être souligné, attachée aux trois sœurs, je les ai aimées autant les unes que les autres (la mère beaucoup moins). Et c’est la force aussi de ce roman indispensable : des personnages auxquels on peut s’identifier et qui permettent de raconter, sans tabous mais néanmoins avec beaucoup de douceur, les violences et les traumatismes vécus par les femmes lorsqu’il est question de maternité.

Je le répète : un roman indispensable !

Hystériques
Sophie ADRIANSEN
Charleston, 2021

Ce qui coule dans nos veines, de Sophie Adriansen : le poison

Nous vivons un amour fou. Un amour tel que je n’osais croire que j’y goûterais un jour. La passion des livres de Jane Austen, Dickens et Tourgueniev, de Chateaubriand et de Madame de Staël mais sans le pessimisme, sans le désespoir, sans le déséquilibre ni la souffrance. Qui a dit qu’un premier amour était forcément malheureux et destructeur ? Adam et moi vivons une relation d’exception, et elle va durer. Lui comme moi avons une foi inébranlable en notre avenir. Parce que nous possédons quelque chose que personne n’a. Un amour unique nous lie, et nous ferons ce qu’il faut pour le préserver. 

Attention, article totalement décousu en approche mais je n’ai pas pu faire mieux tant ce roman pour adolescents a remué de trucs.

Pour Garance et Adam, c’est l’évidence : ils sont faits l’un pour l’autre. Mais quelques semaines après leur rencontre, Adam découvre qu’il est atteint d’une leucémie, et ses convictions religieuses lui interdisant les transfusions sanguines, il ne peut avoir accès à la chimiothérapie. Portée par son amour, Garance essaie de le sauver, mais peut-on sauver quelqu’un pour qui les dogmes religieux sont plus importants que la vie et l’amour ?

Cela fait quelque temps que j’ai terminé ce roman sans parvenir à écrire cet article tant il m’a profondément bouleversée, donc. Disons que je l’ai trouvé très dur émotionnellement parce qu’il appuie sur deux de mes plus grandes angoisses : la maladie et le dogmatisme religieux. Surtout le deuxième, du coup, et c’est ce qui fait que j’ai été folle de rage durant toute ma lecture (cela dit, cela fait sens puisque la question de la liberté était justement ce que me fait travailler l’Univers en ce moment) : le choix très malin de Sophie est que le roman est entièrement construit du point de vue de Garance, et que très vite d’ailleurs Adam disparaît concrètement puisqu’il est loin, qu’elle n’a presque aucun contact avec lui, et qu’elle est donc seule à essayer de se battre — et à essayer de comprendre l’incompréhensible : comment une mère peut placer ses croyances idiotes au-dessus de la vie de son enfant, comment un homme peut-il sacrifier sa vie et son amour au nom d’élucubrations sans fondement ?

Le roman interroge le libre-arbitre, et on imagine bien qu’il n’a pas du tout amélioré mes rapports avec les dogmes religieux (et cette secte en particulier que tout le monde a reconnu mais que je ne nommerai pas). A réserver au grands adolescents parce que, encore une fois, c’est un excellent roman mais il est très dur je trouve et il m’a un peu traumatisée. Moi, ma philosophie de vie, c’est que la seule vraie religion, c’est l’amour !

Ce qui coule dans nos veines
Sophie ADRIANSEN
Gulf Stream, 2019

Linea Nigra, de Sophie Adriansen

Linea nigra, de Sophie AdriansenParce que c’est si rapide, parce que c’est extraordinaire, parce que c’est miraculeux, parce que je n’y crois pas.
Malgré les neufs mois écoulés, le poids sur mon périnée et les mouvements dans mon ventre, malgré les quatorze heures de contractions et l’équipe mobilisée pour que j’accouche, je n’y crois pas.

Un an après Le Syndrome de la vitre étoiléedans lequel elle interrogeait le désir d’enfant et la difficulté à concevoir, Sophie Adriansen interroge cette fois la maternité, la grossesse, l’accouchement et les premiers mois avec son bébé. Sujet par lequel, a priori, je me sens assez peu concerné, mais là est la force et l’intelligence de ce roman : il m’a passionnée.

Malgré ses doutes et son appréhension quant à se projeter à nouveau dans la vie de couple, Stéphanie tombe amoureuse de Luc et ils décident d’avoir un enfant… Très vite, elle est enceinte, et commence un long chemin, merveilleux et angoissant…

La trame du roman mêle à la fois le récit des événements, « la légende » de la rencontre entre Stéphanie et Luc et le « maintenant » de la grossesse, et des éléments plus factuels ou en tout cas différents, en contrepoint : listes, extraits de roman, articles de presse, sagesse populaire, faits médicaux, autres histoires de femmes… Toute cette polyphonie met au jour l’évidence : la maternité ne va pas de soi. La surmédicalisation, la terreur de l’accouchement et la violence de certains médecins. La question de la sexualité et du corps. Ce moment où la femme est dépossédée de soi, l’épisiotomie, la césarienne, le déclenchement, la position aberrante : tout pour enlever aux choses leur caractère naturel, parce que c’est là, aussi, que les femmes sont puissantes et que le patriarcat refuse de leur laisser le contrôle. Et puis, le difficile apprentissage de la maternité et de la vie à trois, la déprime, la fatigue, l’impression à cause de la césarienne de ne pas être vraiment mère, toutes les questions qui resurgissent à propos de sa propre enfance et de sa relation à sa mère. Enfin, la reprise de possession de soi, du corps, de la sexualité.

Mais si la maternité apparaît ici comme un chemin difficile, le roman n’est pas exempt de ce qui fait que cela vaut le coup, quand même : il y a même des choses très poétiques, lorsqu’elle parle à son bébé, évalue son poids par rapport aux diamants mythiques, l’émerveillement de la naissance même si elle n’est pas comme Stéphanie le voulait. Et, bien sûr, une magnifique histoire d’amour !

Bref, un roman qu’il faut lire, car il est d’une richesse infinie et parlera à toutes les femmes — celles qui n’ont pas encore d’enfants, celles qui en ont, celles qui en auront, celles qui n’en auront pas : examinant l’état des lieux de la maternité, il nous pousse à réfléchir sur ce long chemin, qui n’est pas une évidence mais dont les femmes sont de plus en plus dépossédées et qu’il est temps de leur rendre, en cela féministe, mais surtout de bon sens. Les hommes le liront également avec profit, j’en suis certaine !

Linea Nigra
Sophie ADRIANSEN
Fleuve, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 25/30
By Herisson

Le syndrome de la vitre étoilée, de Sophie Adriansen

Cette affolante statistique est avérée. Un couple sur cinq connaît des difficultés pour avoir un enfant et je suis celui-là.
Cela m’arrive à moi qui en ai eu la muette angoisse, à moi qui adore les bébés, qui sais m’y prendre avec eux, qui suis toujours des premières à me précipiter à la clinique pour féliciter l’accouchée, moi qui en conséquence pose sur tant de photographies un nourrisson dans les bras, moi à qui on affirme que cela va si bien, moi que l’on prédit bonne mère.

C’est la première rentrée littéraire de Sophie Adriansen, avec ce roman qui au départ pouvait s’annoncer peu fait pour moi. Disons que je me sens peu concernée par ce sujet, même s’il m’intéresse, et nous en avions d’ailleurs parlé avec Sophie (oui, je raconte ma vie, mais c’est important je pense pour comprendre mon expérience toute personnelle de lecture de ce roman), et c’est justement la raison pour laquelle elle voulait absolument que je l’aie, et éventuellement que je le lise.

Parce que ce roman, justement, n’interroge pas seulement le désir d’enfant, mais a un questionnement beaucoup plus large.

Stéphanie et Guillaume ont tout pour être heureux. Sauf une chose : ils sont ce couple sur cinq qui, d’après les statistiques, a du mal à concevoir un enfant. Ils finissent par se lancer dans le cruel combat de la PMA…

Un très beau texte, à la fois drôle et tendre, qui dépasse largement le récit du chemin de croix d’un couple pour avoir un enfant : ce qui est en jeu ici, au-delà donc de la volonté d’avoir un enfant, à distinguer du désir d’enfant, c’est la féminité — une femme n’est-elle complète qu’en étant mère, ou au contraire faut-il d’abord être complète, en accord avec soi, pour devenir mère (éventuellement) ?

Alternant le passé et le présent, le roman est émaillé d’extraits de livres (et notamment le bouleversant Instinct Primaire de Pia Petersen), de films, de chansons, de statistiques, de discours divers sur la maternité puisque tout le monde donne toujours son avis et que ces avis sont souvent culpabilisants.

Le roman se métamorphose : de quête d’enfant, il devient quête de soi ; la narratrice s’interroge sur ses choix, remet de l’ordre dans sa vie, reconquiert sa liberté et son désir, lâche-prise. Devient enfin elle-même.

Un roman profond et nécessaire, à placer entre toutes les mains, celles des femmes notamment, toutes les femmes, celles qui désirent un enfant et celles qui n’en désirent pas, celles qui en ont déjà : elles y trouveront de quoi s’interroger sur leurs aspirations profondes loin des clichés de la société.

Quant au titre, il est sublime de poésie, mais je vous laisse en découvrir le sens en lisant ce roman qui m’a beaucoup touchée et a profondément résonné en moi…

Le Syndrome de la vitre étoilée (lien affilié)
Sophie ADRIANSEN
Fleuve, 2016

Max et les poissons, de Sophie Adriansen

Est-ce qu’il y a des poissons juifs et d’autres pas juifs ? Nous, on est juifs. C’est pour ça qu’on a des étoiles cousues à nous habits. Papa et maman me répètent qu’être juif, ce n’est pas avoir fait quelque chose de mal. Mais je n’arrive pas à les croire.
J’ai l’impression que ce n’est pas bien, d’être juif maintenant !

Max a eu un prix d’excellence à l’école et, comme récompense, il a reçu un poisson, qu’il appelle Auguste. Max a une étoile jaune : lui la trouve plutôt jolie, mais les autres enfants à l’école se moquent de lui et le traitent de youpin. Mais là, ce sont les vacances, et Max est excité car il va bientôt avoir huit ans. Bientôt, dans quelques jours : le 16 juillet 1942.

Le 16 juillet 1942, c’est la rafle du Vel’ d’hiv, évidemment. Evidemment pour nous, les adultes, mais pas pour les enfants, auxquels ce petit roman s’adresse.

C’est Max qui parle, et la naïveté de l’enfance est parfaitement rendue : il regarde tout avec l’innocence et la grâce, l’étoile jaune, les Allemands, le couvre-feu, la carte d’alimentation. Tout cela est très subtil, avec le fil rouge du poisson qui, tout comme les magnifiques illustrations, apporte une touche de poésie, comme une respiration.

Et pourtant, cela reste triste. Profondément. Même si les faits sont euphémisés, ils n’en restent pas moins bien présents.

Evidemment, ce roman est indispensable. Parents, achetez-le à vos enfants. Profs de collège, faites-le lire en lecture cursive.

Max et les poissons (lien affilié)
Sophie ADRIANSEN // Illustrations de Tom HAUGOMAT
Nathan, 2015

 

Grace Kelly. D’Hollywood à Monaco, le roman d’une légende, de Sophie Adriansen

Les contes de fées racontent des histoires imaginaires. Moi, je suis un personnage vivant. J’existe.

Lorsqu’il y a quelque temps Sophie m’avait annoncé qu’elle travaillait sur une biographie de Grace Kelly, je n’ai pu modérer mon enthousiasme : une personnalité pareille, une histoire pareille, c’est un rêve d’écrivain, mais aussi de petite fille devenue grande.

L’histoire, on la connaît dans les grandes lignes, la qualifiant parfois de « conte de fées » à l’issue tragique : issue d’une riche famille de Philadelphie, Grace Patricia Kelly attrape très vite le virus de la comédie ; après des débuts au théâtre et à la télévision, le cinéma lui ouvre ses portes, et Hitchcock en fait une de ses actrices fétiches.

Mais elle met fin à sa carrière en 1956, pour épouser Rainier de Monaco, avec qui elle a trois enfants, et se tue en 1982 dans un accident de voiture.

Ce qui étonne dans cette biographie, c’est la manière dont la vie de Grace semble s’organiser impeccablement en destin, et même en destin romanesque.

Tout semble avoir une unité, une continuité, du début à la fin, et sa carrière cinématographique, par bien des côtés, apparaît comme une préfiguration de sa vie de princesse, comme si elle avait répété son rôle. Et d’ailleurs, actrice comme princesse, n’a-t-elle pas été en représentation toute sa vie ?

Les signes sont nombreux sur son chemin, de son rôle de princesse dans Le Cygne à l’accident de voiture dans La Main au collet. Tout cela est donc bien troublant, et forcément passionnant : si on lit la vie de Grace comme on lirait un roman, c’est aussi parce que, souvent, on n’a d’elle qu’une image biaisée.

Je plaide coupable : je la connaissais bien mal, et j’avais d’elle une image assez éthérée, aussi ai-je été particulièrement étonnée de la découvrir en chasseuse d’homme. Étonnée et charmée : elle n’a pas été sans me rappeler son amie Ava Gardner ou d’autres fascinantes mangeuses d’hommes hollywoodiennes pour qui j’éprouve un certain attachement.

Double facette donc que celle du personnage de Grace, d’un côté la blonde hitchcockienne assez froide et distante, de l’autre une vraie femme dotée d’un solide sens de l’amour.

Mais aussi double facette de sa vie, finalement : d’un côté le conte tel qu’on l’imagine, le luxe, les fêtes, l’argent ; mais de l’autre, le revers de la médaille, l’ennui, l’impossible intimité, l’abnégation, le renoncement à certaines choses qui font ce que nous sommes.

Lorsqu’on referme le livre, les questions se bousculent : le destin de Grace aurait-il pu être autre ? Que serait-elle devenue si elle avait épousé l’un de ses prétendants qui, à défaut d’être princes, étaient pourtant charmants ? Les sacrifices en valaient-ils la peine ? A-t-elle été heureuse ?

Grace de Monaco restera sans doute longtemps dans l’imaginaire collectif comme l‘archétype de la princesse, un modèle pour toutes les autres, de Kate Middleton choisissant une robe de mariée inspirée de la sienne à Charlène obligée de suivre ses pas.

Une lecture résolument passionnante, qui nous fait pleinement entrer dans la légende !

Grace Kelly. D’Hollywood à Monaco, le roman d’une légende (lien affilié)
Sophie ADRIANSEN
Premium, 2014