Quelque chose qui ressemble à un roman
Voici pourtant encore un livre, quelle audace ! Voici encore un roman — ou quelque chose, vous savez bien, qui ressemble à un roman : des histoires, quelques délires, pas de descriptions grâce à Dieu, un peu de théâtre, pourquoi pas ? et les souvenirs, épars et ramassés pêle-mêle, d‘une vie qui s’achève et d’un monde évanoui. Peut-être ce fatras parviendra-t-il, malgré tout, à jeter sur notre temps pris de doute comme un mince et dernier rayon ? Et même, qui sait ? à lui rendre enfin un peu de cette espérance qui lui fait tant défaut.
Il y a un poème d’Aragon, intitulé « Que la vie en vaut la peine », où il écrit » C’est une chose étrange à la fin que le monde/ Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit ». De ces deux vers, Jean d’Ormesson a fait deux romans.
Le premier, C’est une chose étrange à la fin que le monde, paru à la rentrée littéraire 2010, m’avait totalement illuminée, et c’est donc avec beaucoup d’impatience que j’attendais ce Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, suite et en même temps pas vraiment du précédent.
Comment résumer ce qui est à la fois un livre-testament placé sous l’égide du Ta Panta Rei d’Héraclite, un inventaire du passé, le roman du monde, un exercice de philosophie et une déclaration d’amour, quelque chose entre les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand et les Essais de Montaigne ?
On ne peut pas.
Du chaos sort la lumière
Mais ce n’est pas grave, car l’essentiel n’est pas là : de ce qui pourrait être le chaos, celui d’une pensée sautillante, sort la lumière. Dès les premières pages, le lecteur est ferré et son visage s’anime d’un large sourire. Car tel est Jean d’Ormesson : il parvient, tout de suite, à installer une connivence avec son lecteur, à qui il s’adresse directement, parfois.
Ses secrets ? De l’humour, de l’érudition, un peu d’autodérision, tels sont les ingrédients de ce roman étourdissant où les chapitres virevoltent avec une énergie débordante, sur des sujets comme le temps, la science et l’histoire de l’Univers, Dieu, le hasard et la nécessité, et l’amour.
Dans une langue savoureuse, ciselée, travaillée, l’auteur nous invite à ralentir un instant dans ce monde où tout va vite et où la littérature est peut-être en train de mourir, et à réfléchir avec lui sur ce monde, l’éternité figée qui s’oppose au temps qui passe.
C’est, en tout cas, un livre qui fait du bien. Parce qu’il invite à réfléchir, parce qu’il apprend des choses, et puis, surtout, parce qu’il nous parle beaucoup d’amour, avec ce personnage de Marie, la femme aimée du narrateur, qui se penche sur ses écrits pour le questionner ou le contredire, Marie sans qui il ne serait pas ce qu’il est, Marie qui veut passer l’éternité avec lui.
Et c’est ce qui rend ce petit livre, qui pourrait être pessimiste finalement, d’une grande gaieté, d’une grande légèreté, et en fait une invitation au bonheur.
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit (lien affilié)
Jean d’ORMESSON de l’Académie française
Robert Laffont, 2013









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