La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter
Nagori évoque à la fois une nostalgie de notre part, pour une chose qui nous quitte ou que nous quittons, et la notion de quelque chose qui décale légèrement la saison, comme si cette chose même (par exemple des fleurs, la neige) ne quittait qu’à regret ce monde, et la saison qui est la sienne. C’est à la fois la chose et la personne qui la contemple qui sont dans le regret du départ.
L’autre jour, dans un épisode de son podcast Ressentir, Jessica Troisfontaine a lu un extrait de cet essai, qui m’a transfigurée : je l’ai écouté à la fin du mois d’août, alors que j’étais moi-même en pleine nostalgie de la saison en train de nous quitter, en l’occurrence l’été, ma préférée. J’ai donc eu envie de me plonger dans cet essai, dont un simple extrait m’avait déjà beaucoup apporté, et aussitôt désiré, presque aussitôt lu.
Tout part d’une histoire de nourriture, de produits de saisons et de variabilité de cette notion même. On sait que l’imaginaire des saisons est particulièrement important au Japon, et qu’il commande toute l’esthétique du Haïku. Mais concernant la nourriture, cela va jusqu’à considérer qu’il y a trois saisons pour chaque produit : celle du hashiri, le primeur, celle du sakari, la pleine saison, et le nagori, la fin de saison. Le mot devient alors support à rêverie sur ce qui subsiste du passé dans le présent, et le sentiment de la nostalgie.
J’ai fait ce que j’ai pu, mais il est très difficile de résumer cet essai qui nous plonge dans l’imaginaire poétique des saisons, au Japon mais pas seulement, même si les Japonais sont particulièrement sensibles aux changements du monde. Sans vouloir faire un jeu de mots, parce qu’il est beaucoup question de nourriture, cet essai m’a véritablement nourrie, a fait revenir des souvenirs, par exemple celui de l’émerveillement d’une amie sicilienne voyant la neige pour la première fois ou ceux de cette « autre saison » qu’est le voyage. Je me suis surprise à fantasmer d’une saison totale, qui contiendrait tout ce qu’il y a de beau dans chacune (et quoi ? C’est le défi d’écriture de la semaine sur Instagram), et à m’interroger sur la temporalité cyclique, et le fait qu’on s’ennuierait sans les saisons.
J’ai souri lorsque Ryoko Sekiguchi évoque l’amour des Français pour l’été, alors que les Japonais préfèrent l’Automne, parce que c’est la saison de la fin et de la nostalgie, et que cet imaginaire émotionnel leur plaît :
Les Français, par exemple, me semblent avoir cultivé un rapport particulier à l’été, comme si l’été était, plus qu’une saison, une vie à part entière. […] Le nagori, l’ »envie de rester dans la saison », apparaît particulièrement fort chez les Français pour l’été.
J’ai ajouté un point à ma bucket list : passer un an (ou au moins quelques mois) à la villa Médicis, dont l’autrice parle avec émerveillement.
Bref : cet essai est un ravissement pour l’âme, on en ressort plein de vie et satisfait, avec le désir de profiter encore plus pleinement des saisons.
Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. (lien affilié)
Ryoko SEKIGUCHI
P.O.L, 2018 (Folio, 2020)









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