Le lit d’Aliénor, de Mireille Calmel : l’amour est le plus grand pouvoir

Car l’Eglise aurait beau faire, j’appartenais à la lignée des grandes prêtresses d’Avalon, des druides et des fées, et ce n’était pas ce Dieu triste et hypocrite qui parviendrait jamais à tuer les anciens rites, mes croyances comme celles de ma race. J’aimais bien trop la vie, j’avais bien trop acquis déjà de ce savoir que les prêtres nous contraignaient à oublier.

J’aime me laisser porter par les rencontres de hasard, qui n’en est jamais vraiment un. C’est pour cela que, lorsque l’autre jour je suis tombée sur les deux tomes du Lit d’Aliénor de Mireille Calmel dans une boîte à livres, je les ai adoptés. Bien sûr, je n’adopte pas tous les livres sur lesquels je tombe dans les boîtes à livres, sinon je ne m’en sortirais pas. Là, mon intérêt a été titillé : la figure d’Aliénor m’a toujours intriguée en tant que femme puissante mais sans que je pousse plus loin mes investigations (même si j’avais beaucoup aimé le roman de Clara Dupont-Monod sur cette figure), et je n’avais lu de Mireille Calmel que La Marquise de Sade, qui m’avait plutôt convaincue.

Ce à quoi je m’attendais, c’était un roman historique un peu coquin, à la Angélique marquise des Anges, et il y a un peu de ça, mais pas uniquement.

Dans le sang de Loana de Grimwald, descendante de Merlin et de Viviane, coule la puissance de l’ancienne religion. Elle possède le savoir des choses invisibles et les secrets de la magie. Et porte l’espoir d’un monde en train de mourir assassiné par le christianisme. Sa mission est de protéger l’union d’Aliénor, qui a son âge, avec Henri, le futur roi d’Angleterre qui vient de naître. Mais le destin prend parfois des chemins détournés.

Dès le début, j’ai donc été troublée par la synchronicité qui me faisait trouver « par hasard » un roman abordant les questions que j’étudie actuellement, à savoir l’ancienne religion de la déesse et sa permanence dans le temps, que ce soit la sorcellerie ou l’amour courtois.

Et j’ai adoré cette lecture : Mireille Calmel, dans ce roman qui palpite de vie et d’amour, se glisse dans les silences de l’histoire pour nous proposer une réflexion sur la puissance féminine et l’amour (le plus grand des pouvoirs) grâce à deux héroïnes extraordinaires, auxquelles je me suis beaucoup attachée. Partout il est question de plaisir, de désir, de joie, s’opposant à la morne vision du monde de la France du nord gouvernée par Louis dit le pieu. Un roman très sensuel et envoûtant, qui m’a souvent rappelé la série des Dames du lac de Marion Zimmer Bradley dans ses thématiques, m’a donné du grain à moudre pour mes recherches, et m’a fait passer de très belles soirées de lecture.

Le Lit d’Aliénor
Mireille CALMEL
XO, 2002 (Pocket, 2003)

La Sorcière de Limbricht, de Susan Smit : l’insoumise

Si une personne férue des grands espaces est une sorcière, j’en suis assurément une. Mon lieu de culte n’est pas l’église en tant que bâtiment, mais les champs, la lande, les bois. Si je lève les yeux vers le ciel, je n’y vois pas de chérubins potelés, mais les étoiles et la lune, les nuages se hâtant de dépasser le soleil qui les ourle de doré. Nous, les humains, nous croyons maîtres et seigneurs des terres et des domaines, mais les lieux que nul ne revendique sont le royaume de la nature où tout ce qui pousse est sacré. Tous les éléments font partie d’un splendide choeur sacral, d’un ensemble parfait, complémentaire et interdépendant. Là, rien n’est inférieur à moi. Il ne s’y trouve rien que je dois écraser ou plier à ma volonté.

Cela fait longtemps que j’avais envie de découvrir les romans de Susan Smit, dont j’ai lu plusieurs fois des articles qui m’ont beaucoup intéressée et qui m’ont laissé penser que nous avions des intérêts communs. Malheureusement, jusqu’à très récemment, ils n’étaient pas traduits, et le néerlandais ne fait pas partie des langues que je pratique. Jusqu’à très récemment, et son dernier roman, qui aborde un thème qui m’est cher, la figure de la sorcière, est donc enfin disponible dans notre langue.

A 75 ans, Entjen Luijten vient d’être arrêtée pour sorcellerie et croupit dans une geôle de Limbricht. Les souvenirs de sa vie lui reviennent en mémoire, et notamment ce qui l’a conduite à représenter une menace pour une communauté dont elle ne s’est jamais pleinement sentie membre. Une sorcière ? Non : simplement une femme libre et indépendante, proche de la nature et en connaissant les mystères. Une femme très dubitative face aux religions dogmatique. Une femme animée par la pulsion de vie, qui ne considère pas qu’elle doit garder le silence et se soumettre aux hommes. Une femme puissante, donc, et qui, en tant que telle, représente un danger pour l’ordre établi et le pouvoir tant politique que religieux.

Alternant le passé de la vie d’Entgen et son présent d’enfermement et de torture, le récit nous permet de découvrir en profondeur un personnage féminin absolument magnifique. Fière, courageuse, elle n’a pas la langue dans sa poche, et se rebelle contre l’autorité illégitime, qu’elle soit politique ou religieuse, les deux étant de toute façon intrinsèquement liées. Ce qu’elle aime, ce sont les grands espaces, la liberté, la nature : une religion simple et naturelle, pour tout dire païenne, qui lui permet d’être en parfaite osmose avec son environnement, et la plume souvent lyrique de Susan Smit lui rend bien hommage. L’amour est plus compliqué pour Entgen : elle aime profondément son mari Jacob, mais ne parvient pas à pleinement lui ouvrir son âme. Sans doute parce que, dans une époque comme la sienne on peut difficilement se libérer de tous les carcans.

J’ai littéralement dévoré ce roman, mais, comme d’habitude lorsque je lis sur le sujet j’ai ressenti à cette lecture une colère indescriptible. Une colère venue du fond des âges et de mes entrailles face à ce qu’on a fait à ces femmes : les mensonges pour les accuser, les tortures pour qu’elles soient de toute façon quoi qu’il arrive reconnues coupables, l’injustice incarnée dont le diable est le prétexte, mais qui n’était pas du côté qu’on pensait. Entgen est très intelligente, et à plusieurs reprises, au cours de ses méditations dans sa cellule, elle réfléchit à cette question du mal : persuadés de faire le bien alors qu’ils font le mal, ces hommes (et ces femmes) projettent sur l’autre, celle qu’on dit sorcière, celle qui est libre, toutes les horreurs qu’ils ont en eux. Parce qu’ils ont peur de cette liberté.

Alors je vais m’arrêter là sinon je vais écrire tout un roman, et ce n’est pas l’idée pour le moment, même si je sais que je porte en moi un livre sur le sujet (et qu’Adèle est un peu sorcière). Mais vraiment, lisez ce beau roman, ode à une femme libre et insoumise, et à la nature !

La Sorcière de Limbricht
Susan SMIT
Traduit du néerlandais par Marie Hooghe
Charleston, 2023

Le Diable, de Dominique Labarrière : aux origines de la diabolisation de la femme

Il n’est guère douteux que, dès ses premiers pas sur cette terre, l’homme ait fait l’expérience de ce qui était bon pour lui et de ce qui, au contraire, était mauvais, ce qui facilitait sa présence au monde et ce qui en faisait une épreuve. Le jour, la nuit, la lumière, les ténèbres, le doux soleil, la froidure, les saisons de fertilité, la faim, la satiété, la vie, la mort, la quiétude, la souffrance etc. Sur cette base très empirique se seraient formées les notions fondamentales de bien et de mal auxquelles l’homme n’aurait pas tardé à associer des puissances aussi mystérieuses qu’opérantes : forces du bien pour ce qui lui était favorables, forces du mal pour ce qui lui était néfaste. Ainsi, cet homme des anciens âges assistait-il, déjà, lui aussi quasi impuissant, aux combats entre ces deux forces.

L’une des premières questions que j’ai posées à mon Tarot, c’était « quelles est ma plus grande force ? », et j’ai tiré la carte du Diable. Sur le coup j’étais un peu interloquée, voire vexée, parce que tout de même. Mais je débutais, et je gardais du Diable une image très négative, malgré ma grande affection pour Lucifer. Et puis en travaillant sur cette carte, je l’ai mieux comprise : magnétique, charismatique, le Diable symbolise le désir, les plaisirs, la fête, la séduction, en somme quelque chose de très physique et sensoriel, qui correspond bien à ma plus grande force : l’émerveillement. Et on peut se demander comment cette force de vie positive en est venue d’une part à être associée au mal, et d’autre part à la femme. C’est l’objet de cet essai, qui s’intéresse à nouveau, bien sûr, aux sorcières, mais pas seulement.

Dominique Labarrière s’interroge donc ici sur la figure du Diable, son histoire, ses représentations, et comment les autorités religieuses l’ont associé à la femme et à la sorcière. Il nous raconte aussi quelques anecdotes assez curieuses.

Tout est une question de dualité. Pour l’humain, il faut toujours que les choses s’opposent : la lumière à l’ombre, le bien au mal, Dieu au Diable, l’homme à la femme, et il est donc facile de mettre d’un côté tous les premiers termes, et de l’autre tous les seconds termes. Tellement facile que c’est ce qui a été fait pendant des siècles, pas seulement les temps anciens où dominait le merveilleux et où tout était possible, mais aussi à des périodes où était supposé dominer le rationalisme. Et on pourrait admirer l’imagination débordante des inquisiteurs, si elle n’avait pas été aussi meurtrière. Et la conclusion de tout ça (la mienne en tout cas) c’est que le diable n’est sans doute pas où on l’accuse d’être, et que les juges des tribunaux se sont souvent montrés plus pervers, rusés et mauvais que Satan lui-même.

Un essai très instructif, et encore une fois j’ai beaucoup apprécié le ton souvent très sarcastique de l’auteur !

Le Diable. Les origines de la diabolisation de la femme.
Dominique LABARRIÈRE
Pygmalion, 2021

Le bûcher des sorcières, de Dominique Labarrière : les plus grands procès de sorcellerie de l’histoire décryptés

Paradoxalement, c’est à une époque où le champ des connaissances s’ouvre, explose comme jamais avec les avancées de la Renaissance, l’épuisement du dogmatisme scolastique, les grandes découvertes, dont celles, géographiques, des navigations transocéaniques qui réinventent le monde ; c’est au moment de l’histoire où, avec en particulier la pensée proprement « révolutionnaire » d’un Nicolas de Cues, la philosophie opère son « virage anthropologique », où, avec Copernic, Galilée, Giordano Bruno, le mystère des mystères, celui de la marche des planètes, cède devant la curiosité humaine ; où bientôt, avec Newton, les lois de la gravitation universelle émergeront… C’est justement à cette époque, disions-nous, que sévit avec le plus de fureur la chasse aux sorcières, la traque des oeuvres du diable et que déferle la vague obscurantiste instituant la femme bouc émissaire des misères et des bizarreries de la vie. Comme si, alors que le vaste monde cesse d’être totalement terra incognita et que l’humain paraît être en passe de se rendre maître de mille secrets dont certains aussi extraordinaires que la course des astres, la femme persistait à opposer une résistance inébranlable, sa nature profonde demeurant seule, contre toute science nouvelle, un territoire inviolable. Comment pourrait-on tolérer un tel affront, une telle insulte à l’intelligence enfin libérée ? Masculine, l’intelligence, évidemment…

Encore les sorcières ? Oui, je suis loin d’en avoir terminé avec ce sujet de toute façon passionnant, et je vois de plus en plus nettement émerger quelque chose (de l’ordre d’un projet).

Dans cet essai, Dominique Labarrière entend interroger les grands procès en sorcellerie, afin de percer le mystère de la figure de la sorcière. Après avoir examiné le contexte historique et la haine des femmes qui sous-tend bien évidemment toute l’histoire, il s’intéresse à quelques procès célèbres comme les possédés de Loudun, l’affaire des poisons et bien sûr les sorcières de Salem.

Pour être honnête, la deuxième partie qui analyse les procès m’a semblée un peu légère et pas si intéressante que ça ; par contre, la première partie (d’ailleurs plus développée) qui expose le contexte est absolument passionnante et instructive – malgré toutes mes lectures sur le sujet j’apprends encore des choses, notamment ici sur le plan juridique que jusqu’ici je n’avais pas trop abordé. L’hypothèse de l’auteur, que la haine et la peur suscitées par le féminin vient du désarroi face à un mystère irréductible alors que tous les autres mystères ont cédé me semble très intéressante. Mais la conclusion (à laquelle j’étais déjà arrivée cela dit) est que tous ces gens étaient complètement toqués, et qu’à certaines époques je n’aurais pas fait de vieux os (ou plutôt : à certaines époques, je n’ai pas fait de vieux os). Et je me demande (si quelqu’un a la réponse) si l’Eglise a demandé pardon pour ces crimes abominables (j’ai, je l’avoue, un peu sauté le chapitre sur les tortures qui m’est apparu insoutenable).

Bref, un ouvrage sérieux, précis, instructif, le ton sarcastique adopté par l’auteur est très plaisant, et c’est donc une lecture parfaite pour se documenter sur le sujet !

Le bûcher des sorcières
Dominique LABARRIÈRE
Pygmalion, 2020

Chambre d’hôtel et La lune de pluie, de Colette : souvenirs

Je n’étais pourtant pas vieille, et surtout je ne paraissais pas mon âge véritable. Mais une vie intime assombrie, incertaine, une solitude qui ne ressemblait pas à la paix m’ôtaient la vivacité, l’aménité du visage. Je n’ai jamais été moins remarquée par les hommes qu’en ces années-là, dont je dissimule ici le millésime. C’est bien plus tard qu’ils m’ont rendu la bonne chaleur offensante des regards, et cette cordialité de la concupiscence qui porterait un admirateur, venu le moment de vus baiser la main, à vous prendre gentiment une fesse.

Après avoir terminé Inépuisables de Vivian Gornick, dont je vous parlais l’autre jour, j’ai eu envie de relire Colette : je n’étais pas tellement d’accord avec Gornick sur la question du désir, et je voulais vérifier. Bon, évidemment, je n’ai pas retrouvé mon exemplaire de La Vagabonde et pourtant, je suis sûre de posséder à peu près tout Colette dans cette délicieuse édition vintage du livre de poche. En échange, j’ai trouvé ce petit volume qui ne fait pas partie des œuvres connues de la romancière, qui n’est d’ailleurs pas un roman mais deux nouvelles, et que je ne me souviens pas avoir lu.

Deux nouvelles donc, parues à l’origine dans la presse, en feuilleton, et qui correspondent à ce qu’on appellerait aujourd’hui de l’autofiction, puisque Colette mêle l’autobiographie (son identité de comédienne dans la première nouvelle, d’autrice dans la deuxième) et la fiction. Dans « Chambre d’hôtel », elle sous-loue un chalet à la montagne à une de ses connaissances, une demi-mondaine, mais le chalet ne lui plaisant pas, elle finit à l’hôtel, et se lie plus ou moins avec un couple. Dans « La lune de pluie », elle se retrouve par hasard dans un appartement qu’elle a quitté il y a longtemps, où vivent deux sœurs dont la plus jeune vit un grand chagrin d’amour.

Evidemment, ce qui fait le charme de ces nouvelles, c’est l’écriture de Colette, ce délicieux ton parfois un peu caustique, un peu snob aussi. Néanmoins la première nouvelle ne m’a pas tellement passionnée, si ce n’est les moments avec la chatte de Colette, qu’elle promène en laisse. La deuxième en revanche m’a beaucoup plu, outre son titre merveilleusement poétique, car il y est question de sorcellerie et j’ai trouvé ça formidable, de tomber à nouveau comme ça, pas vraiment par hasard. De sorcellerie, de magie, d’amour et de désir, de ce lien immortel entre deux êtres qui ont fait l’amour même une seule fois… ça ne va pas forcément faire avancer mes recherches sur ce thème, mais j’ai beaucoup aimé.

Chambre d’hôtel suivi de La Lune de pluie
COLETTE
Fayard, 1954 (Livre de Poche, 1964)

Rituels, magie etc.

Demain a lieu la plus importante des fêtes du calendrier des sorcières, Samhain, qui je l’avoue a une place de plus en plus grande dans mon cœur : j’aime décorer ma maison version automne, mettre des lumières (l’heure d’hiver me déprime profondément alors je mets des lumières et des bougies partout), creuser ma citrouille (cette année j’ai acheté une vraie Jack) et y faire brûler une bougie toute la nuit pour les aimés disparus (aller au cimetière n’a aucun sens pour moi car ils n’y sont pas, mais ça, si), préparer un plat avec la chair. Samhain est une sorte de jour de l’an, situé pile entre l’équinoxe d’automne et le solstice d’hiver (le solstice étant supposé marquer le milieu de la saison hivernale, qui commence donc à Samhain : on est un peu décalé) : en ce jour où le voile entre les mondes est le plus fin, on dit adieu à l’ancien pour accueillir le nouveau. D’ailleurs, toutes les fêtes du calendrier celtique (qui ont ensuite été allègrement récupérées par le christianisme) sont liées au passage des saisons. Et si elles reviennent en force dans nos cultures de plus en plus éloignées des religions institutionnelles, c’est justement parce qu’il nous manque ça : le rituel. Ce qui met de l’ordre, du lien, de la magie. Du sens.

Les rituels sont essentiels pour faire société, et dans un monde où les religions traditionnelles ne font justement plus sens chez beaucoup, le retour à la sorcellerie, aux rites païens dans une version pour beaucoup plus symbolique que strictement magiques, (même si j’aime bien aussi faire de vrais rituels magiques), marque un désir de quelque chose de plus poétique, de plus authentique, personnel et sincère : le passage des saisons, les cycles de la lune qui jusqu’à il y a peu n’intéressaient plus guère que les jardiniers. Une « religion » (dans l’étymologie du mot le faisant dériver de religare, relier) de liberté où tout en étant lié aux autres, chacun pratique comme bon lui semble, selon son cœur : les cristaux, les fumigations, les formules rituelles que l’on peut composer comme un poème et partager ou non, les oracles et autres arts divinatoires, les autels, l’astrologie qui n’est autre qu’un retour à la mythologie. Ou tout simplement un joli moment où on fait des choses agréables, qui ont du sens pour nous : mon rituel du solstice d’hiver est juste de relire mes happiness papers (même si je ne les mets plus en bocaux) en buvant du champagne, c’est curieux mais c’est mon rituel.

Pour Samhain en revanche je fais un truc plus élaboré niveau magie avec le pentacle, les bougies, l’invocation des quatre éléments, le tambourin et tout le tralala, surtout cette année où, imaginez un peu, Samhain tombe un soir de pleine lune, déjà c’est pas tous les ans, mais en plus une pleine lune bleue (deuxième pleine lune dans un même mois, phénomène un peu rare) : c’est la première fois depuis 75 ans que ça arrive ; et accrochez-vous : cette pleine lune en Taureau est conjointe à Uranus (planète du changement, de la rébellion) rétrograde, opposée au soleil en scorpion conjoint à Mercure (planète de la communication) rétrograde. Et Mars est rétrograde aussi, tant qu’à faire. Si ça ne vous dit rien niveau astrologique, en résumé on a un assemblage qui ne se produit jamais et qui va dépoter sévèrement niveau énergies (et niveau expression des colères, moi ça fait 15 jours que je les sens déjà en moi mais on voit bien actuellement comment elle s’exprime partout), autant en profiter pour faire un peu de magie ! Mais vous pouvez aussi manger des bonbons devant Harry Potter (c’est d’ailleurs ce que je ferai après).

« Le rituel a pour fonction de donner des repères dans l’espace et dans le temps, il est un élément structurant de la vie, il rythme les saisons, les âges de la vie, il donne de la profondeur et de l’importance aux différents moments charnières de notre vie », écrit ainsi Odile Chabrillac. Les rituels remettent donc du sens dans un monde qui n’en a plus guère. Surtout en ce moment.

Alors, vous allez faire quelque chose demain soir ? Même si les enfants n’auront pas le droit de faire le tour des maisons (mais ils peuvent quand même se déguiser), même si on ne peut pas voir ses amis, célébrons tout de même pour que revienne la lumière ! Et ça va me faire du bien parce que là en vrai, l’idée d’un confinement où je suis quand même obligée de sortir de chez moi pour faire un boulot que je ne supporte plus, ça va être très compliqué et la fumée me sort par les oreilles.

Rêver l’obscur, de Starhawk : pour un monde réenchanté

L’amour connecte, l’amour transforme. En aimant le monde pour ce qu’il est et pour notre vision de ce qu’il pourrait être, en aimant les créatures du monde (y compris nous-mêmes), en protégeant le torrent, en ramassant les ordures à nos pieds, nous pouvons transformer les choses. Nous pouvons nous réapproprier le pouvoir de donner forme à nous-mêmes et au monde autour de nous.

L’autre jour, cet essai était sur la table librairie du colloque sur les sorcières, et vu que je voulais le lire depuis longtemps, je l’ai bien évidemment acheté, d’autant que j’en avais un peu besoin pour poursuivre mes recherches (on peut difficilement parler de sorcellerie aujourd’hui sans faire référence à Starhawk). Et comme nous entrons dans le portail énergétique de Samhain, c’est le jour idéal pour en parler.

Dans cet essai (paru en 1982 mais qui a dû attendre 2015 pour être traduit en français), Starhawk entend relier le spirituel (elle appartient au mouvement wicca dianique) et le politique. En fait, elle entend plus généralement relier, réunifier tout ce qui a été séparé par le patriarcat, et redonner au monde son immanence. Pour cela, elle s’intéresse au « pouvoir du dedans », au langage, à l’éthique de la magie (l’intégrité), à la magie comme volonté, au paysage de la culture, à l’importance du groupe (elle y consacre deux chapitres), au sexe, et à l’importance des rituels. L’essai comprend aussi un passionnant appendice sur la chasse aux sorcières et son contexte historique. Le tout est pris dans le contexte d’une action directe : l’opposition à la construction de la centrale nucléaire de Diablo Canyon.

Lorsque j’ai ouvert cet essai, je m’étais préparée à ne pas être d’accord avec tout, c’est le jeu dès qu’il est question de féminisme, et Starhawk elle-même anticipe ces désaccords. Et bien pas du tout : j’ai été d’accord avec tout, et cet essai rejoint globalement les idées et thèmes que j’ai développés ces derniers mois (ce qui explique que je ne l’ai pas lu avant : j’avais sans doute besoin de m’approprier ces « intuitions » avant de les lire chez d’autres). Et notamment toutes les analyses concernant ce principe de division et de séparation, ce dualisme qui est la pire des plaies de notre système. Il s’agit donc de redonner toute la place à l’immanence, qui ne sépare pas l’homme ni du monde ni du divin. Et redonner sa place à la sexualité : pour Starhawk d’ailleurs (et c’est mon avis aussi) la répression de la sexualité, la séparation corps/esprit qui empêche de jouir pleinement du monde, de l’habiter érotiquement (nous y reviendrons : j’ai trop à dire sur le sujet pour ne pas y consacrer un article entier) est à l’origine de tous les maux.

Si la magie consiste à modifier les consciences, c’est ce que fait Starhawk avec cet essai que tout le monde devrait lire, car il propose vraiment des pistes pour un monde nouveau, réenchanté. Il y a quelques rituels, mais ce n’est pas un grimoire : c’est un puissant outil de réflexion, qui nous invite aussi à entrer en action. Et un de mes objectifs désormais sera de participer à une spiral dance !

Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique.
STARHAWK
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Morbic
Cambourakis, 2015