Maine de J. Courtney Sullivan

Maine de J. Courtney Sullivan

Une famille décomposée

Alice n’aimait pas voir ses enfants un à la fois. La joie et la spontanéité des étés passés avaient désormais disparu. La mort de Daniel avait également sonné celle de leur famille. Chacun s’était éloigné des autres, et, sans s’en apercevoir, Alice était passée de la reine mère — gardienne de la sagesse et de l’ordre — à la vieille dame à laquelle rendre visite était la corvée à expédier avant de pouvoir aller s’amuser.
Elle n’avait pas l’impression que ses enfants tenaient particulièrement les uns aux autres. Alors pourquoi garder ce vieil endroit ? Et pourquoi se donner la peine de venir chaque année, alors qu’elle ne ressentait plus ici que solitude et nostalgie de sentiments perdus à jamais. 

Il y a un an paraissait en France le premier roman de J. Courtney SullivanLes Débutantes (qui vient de sortir au Livre de poche, pour ceux qui l’auraient raté), roman que j’avais trouvé très convaincant et de bon augure pour la suite. Cette année, J. Courtney Sullivan nous propose un nouvel opus, Maine. Alors, essai transformé ?

Le seul lien qui semble encore exister entre les femmes de la famille Kelleher est le cottage de vacances dans le Maine, auquel elles vouent un attachement inégal, et l’été qui se profile sera peut-être l’occasion de voir un peu plus clair dans leurs relations assez chaotiques.

Il y a là Alice, la grand-mère, dont les rêves de jeunesse ont été brisés par un événement traumatisant et qui par culpabilité s’est enfermée dans une vie qui n’était pas pour elle, dictée par la rigidité de la religion.

Maggie, la petite fille, semble plus libre, est écrivain à New-York mais se perd dans une relation toxique à laquelle elle s’accroche, sans doute par conformisme.

Kathleen, la fille d’Alice et la mère de Maggie, a, elle, fui la pesanteur familiale et semble avoir trouvé un certain équilibre en Californie.

Quant à Ann-Marie, la belle-fille, c’est un clone de Bree Van de Kamp version catholique, elle se veut le modèle de la mère et de la femme parfaite mais doit se rendre à l’évidence qu’elle a aussi des failles…

Un roman de femmes

Sans aucun doute, J. Courtney Sullivan s’affirme avec ce texte comme un écrivain de talent. Dans ce très joli roman de femmes, il règne à la fois un doux parfum de nostalgie et une atmosphère pesante et étouffante.

Car il ne fait pas très bon vivre dans la famille Kelleher, le poids oppressant de la religion catholique et de la culpabilité qui est son maître mot, des conventions sociales dictant à une femme ce qu’elle doit être, de l’alcoolisme, véritable atavisme familial, tout concourt à détruire les individus et à les empêcher d’être eux-mêmes.

Même si face aux événements chacune réagit différemment, ce que nous montre l’alternance des chapitres qui se focalisent tour à tour sur chacune d’elle, le fait est bien qu’il existe des schémas récurrents dont il est difficile de se défaire.

On retrouve les thèmes que l’on avait déjà dans Les Débutantes et qui seront sans nul doute au cœur de l’œuvre de Sullivan, et notamment celui de la place des femmes dans la société et leur épanouissement.

Plus particulièrement, la maternité est ici centrale : chacune la vit, l’envisage, la considère de manière totalement différente, soit comme aliénation, soit comme ultime but de leur existence de femme. En cela, chacun des personnage incarne une sorte de chemin à suivre ou non, en tout cas une version possible, mais sans sombrer dans la caricature pour autant.

Le personnage le plus complexe est d’ailleurs Alice, la reine mère, qui a éveillé en moi des sentiments très contrastés : elle m’a souvent mise hors de moi car elle est assez intolérante concernant les choix de vie des autres, notamment en ce qui concerne la religion, mais en même temps elle m’a beaucoup émue, car finalement elle n’a pas eu la vie qui lui convenait, et c’est très triste.

Un roman passionnant, qui est aussi parfois très drôle mais où, tout de même, la mélancolie domine, et qui marque l’entrée de J. Courtney Sullivan dans le cercle des écrivains à suivre.

Maine (lien affilié)
J. Courtney SULLIVAN
Rue Fromentin, 2013

31 réponses à « Maine de J. Courtney Sullivan »

  1. Avatar de sylire

    Un roman qui fait un tabac sur les blogs, on dirait… J’ai « les débutantes » dans ma PAL. Je pense le lire cet été.

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      C’est la bonne saison !

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  2. Avatar de Célia

    zut, je suis passée hier devant « les débutantes » mais je ne l’ai pas pris…ça m’apprendra !je le prendrais la prochaine fois !

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      C’est dommage, c’est un très bon roman !

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  3. Avatar de Chroniques d'une lectrice

    Effectivement, je vais sans doute me laisser tenter alors que je n’avais pas vraiment été convaincue par « les débutantes ». Merci les filles !

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  4. Avatar de mokamilla

    Les éditions Fromentin m’avaient proposé ce titre mais j’ai zappé faute de temps.

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      rhaaa, dommage !

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  5. Avatar de Asphodèle

    J’en entends beaucoup de bien ces temps-ci et comme le LDP je crois (faut que je relise le mail) me propose Les débutantes dans la sélection d’avril, je crois que je ne vais pas hésiter !!!

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      En effet, il est dans la sélection !

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  6. Avatar de M.

    Un roman qui pourrait me plaire… J’avais déjà eu très envie de lire « Les débutantes » mais l’occasion ne s’est pas présentée – ou plutôt suis-je infiniment raisonnable et ne l’ai-je pas encore acheté!

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      Il vient de sortir en poche, donc maintenant c’est raisonnable !

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  7. Avatar de cartonsdemma
    cartonsdemma

    J’avais bien aimé Les débutantes, je note celui-ci

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  8. Avatar de geraldinecoupsdecoeur
    geraldinecoupsdecoeur

    Pas trop envie de mélancolie….

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  9. Avatar de DF

    Oh, je suis en plein dans ce roman, et je m’ennuie…

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      Ah oui ? En même temps je pense que ça plaît plus aux femmes…

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      1. Avatar de DF

        Peut-être: j’ai lu un ou deux billets plutôt positifs voire enthousiastes à ce sujet, chez d’autres blogueuses. Peut-être vais-je aussi repérer un blogueur homme qui l’aurait lu? Affaire à suivre!

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        1. Avatar de L'Irreguliere

          Bon courage pour cette enquête ^^

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          1. Avatar de DF

            Ayé, j’ai rédigé mon billet… ici:

            http://fattorius.over-blog.com/j.-courtney-sullivan-longue-exp%C3%A9dition-dans-le-maine

            Impressions confirmées au fil des pages lues, en dépit d’indéniables qualités… dommage!

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  10. Avatar de éléa

    J’ai aussi raté le premier ;-( mais cette romancière pourrait bien me plaire.

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      Le premier vient de sortir en poche !

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  11. Avatar de Emma

    J’ai acheté les deux romans de l’auteure samedi, une véritable aubaine.
    J’avais très envie de lire « Les Débutantes » depuis sa sortie fort médiatisé mais, étrangement, depuis que les deux pavés se toisent sur mon bureau, c’est vers « Maine » que mon coeur penche.
    C’est un peu illogique de commencer par la seconde parution… Mais ton billet confirme mon envie de passer un peu de temps avec ces femmes dans leur cottage.
    Soyons illogique !

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      En même temps ils ne se suivent pas, donc ce n’est pas grave !

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  12. Avatar de anisdelitterama

    Excellente critique, très fine et complète. J’ai beaucoup aimé.

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    1. Avatar de L'Irreguliere

      Oui, c’est un très beau roman !

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  13. Avatar de La transcendante, de Patricia Reznikov | Cultur'elle

    […] crispe dans l’Amérique actuelle (et pourtant, dois-je voir comme un signe de très souvent me retrouver en Nouvelle-Angleterre avec mes lectures du moment ? ), et pourtant, force est de constater qu’en refermant ce […]

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  14. Avatar de Les liens du mariage, de J. Courtney Sullivan | Cultur'elle

    […] Débutantes et Maine, J. Courtney Sullivan, avec Les liens du mariage, nous propose à nouveau une réflexion sur le […]

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  15. Avatar de Cinq jours, de Douglas Kennedy – Caroline Doudet

    […] en profite pour écorner au passage le culte américain de la culpabilité et du sacrifice : le Maine, berceau du puritanisme, aux paysages pourtant paradisiaques, apparaît ici comme étouffant et […]

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  16. Avatar de La transcendante, de Patricia Reznikov – Caroline Doudet

    […] actuelle (et pourtant, dois-je voir comme un signe de très souvent me retrouver en Nouvelle-Angleterre avec mes lectures du moment ? ), et pourtant, force est de constater qu’en refermant ce […]

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  17. Avatar de Les liens du mariage, de J. Courtney Sullivan – Caroline Doudet

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