Plongée dans les abîmes
J’ai écrit une quinzaine de lignes sur son travail, destinées à être publiées dans le prochain numéro du journal. Je sais ce que tu vas te dire, que je me sers de mon statut public pour des motivations privées. Je te rappelle seulement que dans le domaine de l’art, on aime toujours pour des motivations privées. Parce que les œuvres qu’elles soient filmiques ou graphiques, remuent des choses en vous. J’ai intitulé mon article « Une femme, des rives ».
Plonger. C’est le titre de ce roman que nous offre en cette rentrée littéraire Christophe Ono-dit-Biot, responsable des pages culture du Point. Et c’est aussi le verbe qui correspond le mieux à l’expérience éprouvée par le lecteur. Une plongée dans un abîme. En apnée.
Tout commence par une naissance. Celle d’Hector, le fils du narrateur, auquel s’adresse le récit, pour quand il sera plus grand, pour qu’il comprenne, qui était sa mère, dont le corps vient d’être retrouvé, nu, sur une plage, loin de l’Europe.
Un début, mais aussi une fin, celle d’un couple. Alors le narrateur raconte, déroule le fil de son histoire avec Paz, de leur rencontre, qui fut d’abord un coup de foudre puis un malentendu entre un critique artistique et écrivain parisien qui ressemble furieusement à l’auteur, et une jeune photographe espagnole surdouée, à la fin.
Autopsie d’un amour
Ce roman, c’est donc d’abord la bouleversante autopsie d’une histoire d’amour. Comment, malgré tout, l’amour ne suffit pas toujours et peine parfois à résoudre les tensions entre Éros et Thanatos.
Ces tensions, elles sont au cœur du malentendu initial, que l’on pourrait appeler contresens : Paz photographie des plages, et lorsque le narrateur les découvre, il y voit la vie, et c’est en ce sens qu’il rédige l’article qui lancera la carrière de la jeune photographe et, malgré tout, leur histoire d’amour. Mais Paz, elle, voit dans ses photos le chaos et la destruction.
Erreur initiale, erreur fatale, mais qui ne sera pas le seul malentendu entre ces deux êtres qui s’aiment pourtant : César, le narrateur, a beaucoup baroudé et après avoir contemplé la mort de trop près refuse désormais de quitter l’Europe ; Paz, éprise de liberté, veut parcourir le monde. César veut un enfant, Paz est plutôt fascinée par les requins.
Deux êtres donc aux aspirations contradictoires et difficilement conciliables ; ce n’est pas nouveau, c’est un thème récurrent, mais l’intéressant ici est que les rôles sont inversés. On a l’habitude des histoires où la femme ne rêve que d’un foyer stable et clos et l’homme de grand espaces. Ici, c’est le contraire, et c’est ce qui rend cette histoire d’autant plus bouleversante et riche de sens.
Eros et Thanatos
A travers cette déliquescence d’un couple comme on en voit beaucoup aujourd’hui, c’est aussi à une réflexion sur le monde contemporain et sur l’art que nous invite l’auteur, un monde qui à l’image du couple formé par César et Paz est lui aussi tendu entre pulsion de vie et pulsion de mort.
La dégénérescence de la vieille Europe, repliée dans les splendeurs de son passé comme dans un cocon rassurant où la mort serait moins menaçante. Le reste du monde, jeune, dynamique, mais violent et dangereux, où la mort rôde à chaque instant. Où est la vie, où est la mort, en réalité ? Peut-être pas où l’on croit.
Entre les deux pulsions, le motif aquatique. Il symbolise la mort, avec la noyade et les requins. Mais aussi, et surtout, la vie : le liquide amniotique, le baptême, la purification d’une renaissance.
Dans une langue très belle, où affleure parfois la poésie mais émaillée, aussi, de traits d’humour parfois désabusés, l’auteur nous invite à plonger avec lui.
Un roman magnifique, d’une richesse incroyable, dont on n’a à mon avis pas fini d’entendre parler !
Plonger (lien affilié)
Christophe ONO-DIT-BIOT
Gallimard, 2013









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