L’histoire de ma vie n’existe pas. Ça n’existe pas. Il n’y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l’on fait croire qu’il y avait quelqu’un, ce n’est pas vrai il n’y avait personne. L’histoire d’une toute petite partie de ma jeunesse je l’ai plus ou moins écrite déjà, enfin je veux dire, de quoi l’apercevoir, je parle de celle-ci justement, de celle de la traversée du fleuve. Ce que je fais ici est différent, et pareil. Avant, j’ai parlé des périodes claires, de celles qui étaient éclairées. Ici je parle des périodes cachées de cette même jeunesse, de certains enfouissements que j’aurais opérés sur certains faits, sur certains sentiments, sur certains événements. J’ai commencé à écrire dans un milieu qui me portait très fort à la pudeur. Ecrire pour eux était encore moral. Ecrire, maintenant, il semblerait que ce ne soit plus rien bien souvent. Quelquefois je sais cela : que du moment que ce n’est pas, toutes choses confondues, aller à la vanité et au vent, écrire ce n’est rien. Que du moment que ce n’est pas, chaque fois, toutes choses confondues en une seule par essence inqualifiable, écrire ce n’est rien que publicité.
Je l’ai déjà dit il a quelques mois, j’ai un rapport complexe avec Duras, entre fascination et répulsion : je ne suis pas durassolâtre, mais je ne fais pas partie non plus de ceux qui l’estiment surestimée. Cela dépend des textes. L’Amant fait partie des textes qui m’ont marquée, je l’ai lu plusieurs fois, notamment à l’adolescence, moins que Bonjour Tristesse mais je pense néanmoins, avec le recul, qu’il fait partie de ceux qui m’ont donné envie d’écrire.
Je ne l’avais pas lu depuis longtemps, mais lorsque l’autre jour Philippe Besson a parlé de Duras dans l’émission spéciale « Valise de l’été » de La Grande Librairie, je l’ai immédiatement sorti de ma bibliothèque (qui désormais est à peu près correctement organisée) pour le mettre dans ma propre sélection estivale, d’autant plus rapidement que j’avais récemment « rencontré » la tombe de l’auteure au cimetière du Montparnasse.
Sur le bac qui traverse le Mékong pour la ramener à Saigon après les vacances, la narratrice, 15 ans 1/2, rencontre un riche Chinois qui devient son amant…
L’histoire, c’est ça, cette rencontre qui fera de « la Petite » une femme, et en même temps, ce n’est pas vraiment ça : l’écriture durassienne ne cesse de s’éloigner de son fil narratif principal, se perdant en analepses et prolepses sur sa vie en Indochine, son rapport compliqué à sa mère, le petit frère, et son voyou de frère aîné, sur sa vie en France, des années plus tard.
Toujours elle revient à l’Amant, dans des pages somptueuses de sensualité, « exténuée de désir« , toujours elle s’en éloigne à nouveau, tout comme elle s’éloigne d’elle-même, passant de la 1ere personne à la 3e personne de « la petite ». Toujours, aussi, elle réfléchit à l’écriture, le nœud de toute l’œuvre de Duras : comment écrire sur soi ?
Evidemment, il faut lire L’Amant parce que c’est, tout de même, un des grands textes de la littérature française, un texte sur le corps féminin, la séduction, le désir, roman d’apprentissage autofictionnel qui nous parle aussi de la nécessité d’écrire…
L’Amant (lien affilié)
Marguerite DURAS
Minuit, 1984









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