L’Amant, de Marguerite Duras

L’histoire de ma vie n’existe pas. Ça n’existe pas. Il n’y a jamais de centre. Pas de chemin, pas de ligne. Il y a de vastes endroits où l’on fait croire qu’il y avait quelqu’un, ce n’est pas vrai il n’y avait personne. L’histoire d’une toute petite partie de ma jeunesse je l’ai plus ou moins écrite déjà, enfin je veux dire, de quoi l’apercevoir, je parle de celle-ci justement, de celle de la traversée du fleuve. Ce que je fais ici est différent, et pareil. Avant, j’ai parlé des périodes claires, de celles qui étaient éclairées. Ici je parle des périodes cachées de cette même jeunesse, de certains enfouissements que j’aurais opérés sur certains faits, sur certains sentiments, sur certains événements. J’ai commencé à écrire dans un milieu qui me portait très fort à la pudeur. Ecrire pour eux était encore moral. Ecrire, maintenant, il semblerait que ce ne soit plus rien bien souvent. Quelquefois je sais cela : que du moment que ce n’est pas, toutes choses confondues, aller à la vanité et au vent, écrire ce n’est rien. Que du moment que ce n’est pas, chaque fois, toutes choses confondues en une seule par essence inqualifiable, écrire ce n’est rien que publicité. 

Je l’ai déjà dit il a quelques mois, j’ai un rapport complexe avec Duras, entre fascination et répulsion : je ne suis pas durassolâtre, mais je ne fais pas partie non plus de ceux qui l’estiment surestimée. Cela dépend des textes. L’Amant fait partie des textes qui m’ont marquée, je l’ai lu plusieurs fois, notamment à l’adolescence, moins que Bonjour Tristesse mais je pense néanmoins, avec le recul, qu’il fait partie de ceux qui m’ont donné envie d’écrire.

Je ne l’avais pas lu depuis longtemps, mais lorsque l’autre jour Philippe Besson a parlé de Duras dans l’émission spéciale « Valise de l’été » de La Grande Librairie, je l’ai immédiatement sorti de ma bibliothèque (qui désormais est à peu près correctement organisée) pour le mettre dans ma propre sélection estivale, d’autant plus rapidement que j’avais récemment « rencontré » la tombe de l’auteure au cimetière du Montparnasse.

Sur le bac qui traverse le Mékong pour la ramener à Saigon après les vacances, la narratrice, 15 ans 1/2, rencontre un riche Chinois qui devient son amant…

L’histoire, c’est ça, cette rencontre qui fera de « la Petite » une femme, et en même temps, ce n’est pas vraiment ça : l’écriture durassienne ne cesse de s’éloigner de son fil narratif principal, se perdant en analepses et prolepses sur sa vie en Indochine, son rapport compliqué à sa mère, le petit frère, et son voyou de frère aîné, sur sa vie en France, des années plus tard.

Toujours elle revient à l’Amant, dans des pages somptueuses de sensualité, « exténuée de désir« , toujours elle s’en éloigne à nouveau, tout comme elle s’éloigne d’elle-même, passant de la 1ere personne à la 3e personne de « la petite ». Toujours, aussi, elle réfléchit à l’écriture, le nœud de toute l’œuvre de Duras : comment écrire sur soi ?

Evidemment, il faut lire L’Amant parce que c’est, tout de même, un des grands textes de la littérature française, un texte sur le corps féminin, la séduction, le désir, roman d’apprentissage autofictionnel qui nous parle aussi de la nécessité d’écrire

L’Amant (lien affilié)
Marguerite DURAS
Minuit, 1984

19 réponses à « L’Amant, de Marguerite Duras »

  1. Avatar de gentlemanw
    gentlemanw

    C ‘est un grand texte certes, un incontournable pour de futurs lecteurs de la littérature française. Mais ce voyage ne fait pas une auteure sans d’autres livres. Et d’ailleurs la question en suspens reste « faut-il tout lire de Duras pour l’apprécier ? ». A moins que ce ne soit un style dont on tombe amoureux 😉

    Il y a tant à lire dans les nouveaux auteurs ou nouveaux livres que je ne le relirai pas, sûrement jamais. Les souvenirs sont là, suffisants.

    Amitiés

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  2. Avatar de rottier
    rottier

    pour ma part je suis une inconditionnelle de MD… comme une maladie

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  3. Avatar de hélène

    Un de mes livres préférés ! Et le film…

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  4. Avatar de AMBROISIE

    J’ai tellement envie de le lire celui là que je vais finir par craquer c’est certain.

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  5. Avatar de Lemon and Juice

    Le livre est à lire absolument, et le film à voir aussi, sans compter sur la bande originale qui est vraiment géniale …

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    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      J’ai un très beau souvenir, mais lointain, du film !

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  6. Avatar de coupsdecoeurgeraldine

    Lu lorsque j’étais jeune adulte. Bien aimé et du coup j’avais acheté un autre Duras dont j’ai oublié le titre. je me rappelle juste d’une lecture cauchemardesque !

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  7. Avatar de Marion

    Je ne l’ai jamais lu… Mais je garde en mémoire des images du film, entraperçu lorsque j’étais plus jeune…

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    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)

      Le film est très beau, et je n’arrive pas à me défaire des images de l’actrice, mais il n’est pas complètement fidèle au livre !

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  8. Avatar de tankouanana
    tankouanana

    Ce roman, avec l’amant de la Chine sont de très beaux roman. Ils m’ont marqué et c’est à relire plusieurs fois

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    1. Avatar de Caroline Doudet (L'Irrégulière)
  9. Avatar de Inépuisables, de Vivian Gornick : notes de relectures – Cultur'elle

    […] Gornick nous reparle ainsi de ses relectures d’Amants et fils de DH Lawrence, de Colette, de L’Amant de Duras, d’Elizabeth Bowen, de quelques écrivains juifs américain, de Natalia Ginzburg, de romans […]

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  10. Avatar de L’amant, Marguerite Duras – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

    […] de l’intrigue. Livresse littéraire. Fictionista. Lecturissime. L’ourse bibliophile. Caroline Doudet. Clem’s […]

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  11. Avatar de L’Eveil, de Line Papin – Caroline Doudet

    […] Il est très difficile, en fait, de résumer ce roman sans trop en dire. Et pourtant, quelle pépite : dès les premières pages, on est happé par l’ambiance très particulière posée par l’auteure, à la fois pesante et étouffante, et d’une sensualité débordante : on est plongé au cœur d’Hanoï et éclatent dans les pages les sons, les couleurs, les odeurs, les goûts, cette moiteur qui envahit tout et donne à l’ensemble quelque chose de très charnel, et n’est pas sans rappeler, par moments, L’Amant. […]

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