Céleste, plongée dans une multitude d’émotions inconnues jusque-là, réalise qu’elle a un corps. Cette découverte est purement sensorielle. Aucune idée, aucun concept de cela. Juste une certitude : ce corps est là, il embrasse la vie, la donne, l’insuffle. Il est d’une puissance vertigineuse. Ce corps toujours nié, uniquement utilisé pour les corvées de la vie courante — souvent celles des autres —, prend une dimension nouvelle.
A force de lire des avis enthousiastes à son sujet et de lui voir décerner des prix, j’étais réellement curieuse de découvrir ce roman, et j’ai profité de mon passage sur le stand Sabine Wespieser lors du salon du livre pour le faire mien.
Régulièrement violée par son patron, Anselme de Boisvaillant, Céleste, la petite bonne de 17 ans, finit par tomber enceinte. Quant à Victoire, la femme d’Anselme, après 5 ans de mariage et pas d’enfant, elle trouve la vie bien morne. La solution est toute trouvée : Victoire adopte l’enfant de Céleste. Mais, ce n’est pas si simple de devenir mère…
J’avais lu des avis dithyrambiques sur ce roman, et pourtant, j’étais loin de m’attendre à un tel bouleversement, à un tel choc : ce roman atteint la grâce infinie de la beauté pure, et certains passages étaient tellement sublimes que j’en avais les larmes aux yeux, non pas de tristesse, pas seulement d’émotion, mais d’émerveillement.
Ce dont il est question, c’est d’amour, mais un amour qui, par sa sensualité, devient libération des corps et des âmes.
L’histoire prend place au début du siècle, dans un milieu bourgeois étriqué et marqué par un rejet du corps et une lourdeur qui ne peuvent mener qu’à la névrose, haine du corps symbolisée par le corset, prison de tissu des corps féminin. Mais le corps se libère : Poiret ouvre les portes de la geôle de tissu, mais c’est surtout la maternité dans toute sa splendeur qui fait son office.
Pas la maternité aliénante de la bourgeoisie étouffée par la religion, et qui fait des femmes de simples machines à enfanter. Non, une maternité naturelle. La nudité simple des corps qui se touchent et qui par ce toucher prennent ou reprennent vie, leur langage sublimement rendu par l’écriture, tout un monde de sensations, la douceur et la chaleur d’une peau, des odeurs, la musique.
La pulsion de vie emporte tout. Eros défie thanatos. Il y a quelque chose de païen, de dionysiaque dans cette libération charnelle, et dans cette prise de pouvoir du féminin, jusqu’à ce feu de joie dans lequel on brûle ce qui empêche de respirer, même si le principe de réalité rôde, prêt à remettre de l’ordre dans ce chaos.
Tout cela m’a beaucoup fait penser à Flaubert. Pas seulement Madame Bovary, même si quelques plaisantins ont dit du roman que c’était « Madame Bovary chez les lesbiennes », ce qui me semble au passage faux concernant la relation entre les deux femmes ; mais admettons, il y a du Bovary dans cette pesanteur et cet ennui de la médiocre bourgeoisie de Province, et l’intertextualité avec le roman de Flaubert est assumée dès le début.
Mais Céleste, par son prénom et sa foi naïve, m’a aussi beaucoup rappelé la Félicité d’Un cœur simple. Et puis cette écriture, ce style, d’une perfection rare.
Bref : un roman absolument sublime, brillant et lumineux, qu’il faut absolument lire !
Amours
Léonor de RÉCONDO
Sabine Wespieser, 2015